TAZIZAOUT ET BADDOU : NOTE DE RECHERCHE SUR DES HAUTS LIEUX DE LA RÉSISTANCE AMAZIGHE, HAUT ATLAS MAROCAIN (1932-1933)
Michael PEYRON
Introduction
Il s’agit ci-après de signaler les grandes lignes d’un travail en cours ayant déjà donné lieu à quelques publications(1), sur deux des sites de résistance les plus prestigieux des Imazighen du Haut Atlas oriental : le Jbel Tazizaout et le Jbel Baddou (1932-33). Lors des dernière campagnes de l’Atlas marocain, ultime étape d’une guerre qui durait depuis près de trente ans, de nombreux combattants de la montagne ont trouvé la mort en défendant leur sol natal. Alors qu’après l’indépendance du Maroc ces faits ont été longtemps occultés. Cependant, depuis la fondation de l’IRCAM, une oeuvre méritoire de mémoire a été enfin entreprise.
Par l’âpreté et la durée des combats, ainsi que du fait des moyens militaires mis en oeuvre par l’envahisseur, ces deux batailles méritent une place à part. Dans chaque cas, l’effectif de plusieurs bataillons, relevant de divers commandements, fut mis en ligne, épaulés par des armes automatiques, l’artillerie, l’aviation, voire des blindés. Face à eux les imžuhad, avec des moyens dérisoires, terrés dans des grottes ou des tranchées, armés de leurs seuls fusils et d’un courage inébranlable, tenaillés par la faim et la soif, subissaient des bombardements, disputaient chaque mètre de terrain. S’ils ont été abordés ensemble, c’est que la destinée de ces deux sites est liée ; en effet, un certain nombre de résistants qui avaient rompu l’encerclement du Tazizaout, réfugiés chez les Ayt Hadiddou, avaient dû finalement se replier sur le Baddou. Unies dans la gloire, ces deux montagnes sont pourtant bien dissemblables. Le Tazizaout, lui, est une ride de plus dans cet océan de vagues figées que constitue le Haut Atlas oriental marocain. Pas une bien grande montagne ; simplement une longue arête rocheuse aux flancs drapés de cèdres, de chênes-verts, clairement visible à l’horizon par beau temps depuis Azaghar Fal. Malgré une altitude modeste (2 767m) l’hiver elle était régulièrement ourlée de neige. Ses forêts étaient hantées de singes sur lesquels les panthères de passage opéraient de périodiques prélèvements. « La verte »(2), (tazizawt) tel était le nom que lui donnaient les Imazighen de la région. Une réputation de bout du monde, de lieu austère aux sources rares se rattachait à cette zone frontière, point de rencontre entre d’importants groupements berbères de haut mont : Ayt Yahya, Ayt Hadiddou, et Ayt Sokhman. Sidi ‘Ali Amhaouch, grand thaumaturge de la fin du XIXe siècle séjourna, lors d’une de ses tournées dans le haut pays, au hameau de Tafza au pied du Tazizaout. Lieu bucolique, propice à la contemplation, avec ses pieds de vigne sauvage, ses pruniers et buissons de mûres, ses deux sources : l’une d’eau douce, l’autre saumâtre. Sidi ‘Ali a dû en ramener une impression de nature indomptée : enchevêtrement de crêtes boisées, broussailleuses ; de pentes abruptes, de ravins tortueux et de torrents fougueux, qui en feraient un refuge parfait en cas d’urgence absolue. Une de ces prophéties apocalyptiques dont il avait le secret prenait forme dans l’esprit de Sidi ‘Ali et prédisait que Tafza serait l’ultime réduit contre lequel viendraient buter en vain les colonnes françaises. Prophétie reprise à son compte après sa mort par son fils ainé Sidi Lmekki. Qui résistera plus d’un mois (mi-août/mi- septembre 1932), à la tête d’un millier de combattants, contre deux Groupes Mobiles de l’armée française.
Le Jbel Baddou, où se déroulera l’ultime épisode de l’épopée de la résistance de l’Atlas, est une haute montagne (2 921m) isolée et escarpée, surgissant d’un seul élan au-dessus d’Asoul dans le Haut Ghéris. Avec ses flancs décharnés où ne s’accrochent que quelques genévriers rabougris, ses rares sources, c’est un lieu aride et désolé. Visible de très loin, couvert de neige trois mois par an, c’est un emplacement stratégique important qui domine tous les passages entre les pays Ayt Merghad et Ayt Hadiddou, groupements voisins, membres de la confédération Ayt Yafelman, mais qu’opposaient pourtant de périodiques et fratricides combats ; lorsque sonna l’heure de la résistance à l’envahisseur, toutefois, ils avaient su s’unir. Avec leurs troupeaux et leurs familles quelques centaines d’Ayt Merghad et d’Ayt Hadiddou s’y étaient retranchés à la fin juillet 1933. Un terrain truffé de grottes, et de barres rocheuses offre une infinité de possibilités défensives, dont la dernière poignée de résistants sous Zayd ou-Skounti et ‘Ali ou-Termoun avait su tirer parti. Comme au Tazizaout, le Baddou jouissait d’une réputation légendaire : la mule du Prophète Mahomet était censée y être passée3. Étant donné la sainteté du lieu, comment Dieu permettrait-il aux incroyants d’y prendre pied ? Finalement, comme au Tazizaout, l’encerclement de leur bastion montagneux par les forces ennemies, en empêchant l’arrivée du ravitaillement, eut raison de l’opiniâtreté des défenseurs qui souffrirent davantage de faim et de soif que de la violence des seuls bombardements.
Sorties au Tazizaout
L’auteur de ces lignes a effectué trois sorties sur le terrain. La première, mandatée par l’IRCAM, se déroula du 18 au 25/08/2005 en compagnie de Houssa Yakobi, lui-même membre de l’IRCAM et originaire des Ayt Ouirra de Ksiba, ainsi que de son épouse Michèle. Il s’agissait de visiter les principaux sites du Tazizaout et d’obtenir des comptes-rendus oraux auprès des vétérans et leurs proches concernant le déroulement des combats. La deuxième sortie : effectuée du 21 au 24/05/2006, en compagnie de Houssa et Karim Yakobi, Assou et Khadija Lhatoute de Midelt. Cette boucle au départ d’Ikasen devait nous permettre : 1) de glaner de plus amples informations concernant les mouvements de Sidi Lmekki pendant la bataille de Tazizaout ; 2) d’élucider de nombreuses erreurs toponymiques apparues suite à la comparaison entre la version écrite du général Guillaume et les comptes-rendus oraux des vétérans et de leurs proches après repérage sur le terrain; 3) d’obtenir d’autres précisions quant aux déroulements des combats ; 4) de recueillir un complément de poésie orale. La troisième sortie 20 au 24/05/2007, en compagnie de Michel Morgenthaler, en traversée sud-ouest/nord-est (Imilchil-Tounfit) du massif, nous mena de nouveau pour une prière – toutes confessions confondues – au cèdre sacré du Tazizaout, puis à Agheddou et à Assaka.
Observations sur le terrain
Nous avons observé, tout d’abord, à la limite ouest du dispositif défensif du Tazizaout, le ravin escarpé d’Aqqa n-Tkouchtamt avec ses buissons de buis, dominé par de falaises parcourues de vires ayant servi d’emplacements de tir aux résistants4. Dans l’Aqqa n-Mesfergh nous avons examine plusieurs vestiges d’emplacements de combat enterrés, orientés dans le sens du ravin, de façon à ne pas s’exposer aux tirs de mitrailleuses de la crête de Tazra au nord, au cas où l’un des défenseurs allumerait une bougie la nuit. Là où le ravin s’élargit nous avons repéré plusieurs grands chênes, tisuffa n-sidi lmekki ; c’est là que Sidi Lmekki aurait installé son campement après avoir quitté Tafza (5). Nous avons noté la présence près de Tafza, rive gauche de l’Aqqa n-Zobzbat (nom actuel Aqqa n-Widammen 6), au milieu d’un massif de buis, d’un cimetière de tombes en bois. Ce fut alors l’occasion de prononcer une prière pour le repos des imžuhad.
Ayant suivi une sente forestière depuis le haut Aqqa n-Zobzbat, nous débouchons au Tizi n-Bou Igheliasn, où nous avons trouvé un étui de cartouche, provenant probablement d’un mousqueton. Devant nous se dresse le sommet escarpé de Taoujjaâout, site emblématique et théâtre de combats acharnés, dominant l’Aqqa n-Zourkhelad, où se situaient de nombreux campements d’insoumis d’après Guillaume qui lui décerne le nom d’Aqqa n-Tefza (7). Il nous a été intéressant de recueillir de la bouche du poète amateur Ou-Ben ‘Ali quelques précisions quant à certains héros du Tazizaout : Baqqour, et ‘Ali Belhacene étaient originaires des Ayt Hnini ; Mohammed ou-Talb, Bassou ou-Hssein, et Moha Ouanzzour, venaient tous du village d’Agheddou (Ayt ‘Ameur, Ayt Hadiddou). ‘Ali ou Ikhelf et Bennaser Lhou (le dernier de Tit n-Blal), étaient des Ayt Sokhman. Quant à la poétesse Taoukhettalt, elle serait des Ayt ‘Abdi (Tizi n-Isly). Épouse d’un montagnard aisé, elle avait don sans compter de ses bêtes aux imžuhad et avait tout perdu après Tazizaout. Sidi ben Hmad, le šrif de Tilmi (Ayt Hadiddou) à qui l’on prêtait souvent le nom d’Ou-Sidi Bel-Hajj: ses contingents ne sont pas intervenus directement dans les combats, bien qu’il eût mené une diversion importante sur le Plateau des Lacs.
Lahcen Ahaqqar (Ichqern) se battait aux côtés de Sidi Mhand Lmehdi. Il fut amené à « repartir en dissidence » comme on disait alors, après avoir été spolié par un mokhazeni autoritaire et profiteur quelque part en Moulouya8. Ce fut vraisemblablement lui qui captura une mitrailleuse lors de la contre-attaque nocturne réussie du 6-7 septembre, 1933, contre une position occupée par des partisans et tirailleurs au « Piton des Cèdres ». Arme dont il fit bon usage depuis un emplacement sous l’actuel cimetière jouxtant des abris de pèlerins, battant de ses feux un versant entier, dont le nom perpétue de nos jours son exploit : Tassameurt n-Ou Haqqar. Une certaine confusion entoure la façon dont furent tués les deux marabouts guerriers Sidi Mhand Lmehdi et Sidi Lmurtada, frères de Sidi Lmekki. Lmehdi aurait été abattu d’une balle de fusil Lebel en combattant des partisans, goumiers et légionnaires au col entre le « Piton des Cèdres » et la crête du Tazizaout (9). Quant à son frère, Sidi Lmurtada il serait mort par bombe d’avion après s’être replié sur son campement près de la source (taġbalut n-tzizawt), par ce que ses proches lui avaient fait remarquer qu’il était trop exposé sur la crête près du grand cèdre (10). Selon une version complémentaire, Sidi Lmurtada à été d’abord blessé par balle à l’épaule et à la hanche, puis ramené à son campement pour y être soigné, pour être finalement tué par l’explosion d’un obus (11). Détail navrant, enfin, comme comble du déshonneur, après la reddition il y eut ah’idus n-wiha, la danse du malheur, exécutée par les femmes dans Aqqa n-Ouchlou (12).
Sorties au Baddou
Nos investigations au Baddou sont bien moins avancées, en dépit de trois tentatives en janvier 2007, janvier et mars 2008. La première nous a permis de pousser une reconnaissance depuis Tiydrine n-Ayt Merghad vers Itto Fezzou et le Tizi n-Hamdoun, le dernier sous la neige (à l’ouest du Baddou), mais du fait du froid et de l’absence d’habitants nous n’avons rien recueilli sur le plan de l’oralité. À Amellago, en revanche, gros village Ayt Merghad excentrée par rapport au massif, nous avons glané quelques informations intéressantes. Mais, de toutes façons, soit la montagne était trop enneigée, soit mes compagnons manquaient d’ardeur pour gravir les hauteurs. Il apparaît qu’une date vers la fin du printemps s’avérerait plus propice. L’absence d’un gîte valable au pied du versant nord, base de départ indispensable pour rayonner dans le massif, constitue un handicap supplémentaire, la mélancolique bourgade administrative d’Assoul n’offrant que peu de ressources.
Une sortie sur le terrain, depuis Aghbalou Kerrouch sur la rive droite du Haut Ghéris en amont d’Assoul, nous mena sur deux anciens sites de campements militaires de 1933 dominant le ravin d’Aqqa Bou Ikzine Leur rôle consistait à bloquer les abords nord du Baddou de façon à empêcher toute tentative de fuite de résistants vers le massif voisin du Jbel Youb. Le premier camp qui pouvait loger une soixantaine d’hommes, probablement des Tirailleurs, comporte un mur extérieur et un mur intérieur, mais aucun débris de verre. Détail important. L’autre site comprend deux enceintes fermées par une murette de pierres sèches et des ronds de pierres pour des tentes, ainsi que des emplacements plus conséquents, ayant sans doute abrité des obusiers de 155m/m, ainsi que des mitrailleuses Hotchkiss. Le site est tout à fait reconnaissable d’après des photos d’époque dans le livre du reporter britannique Ward Price13. Comme vestiges, de nombreux débris de verre provenant de deux sortes de bouteilles (bière et/ou vin) – marque de la Légion – ainsi que des boîtes de conserves écrasées pouvant avoir contenu du « singe » (14). Hormis quelques fragments d’oralité, c’est là tout ce que nous avons ramené du Baddou.
Corpus de la région du Tazizaout
1) itgil ugwerram n-tzizawt (Le cèdre sacré du Tazizaout)
itgil nnag illan i leεmud, da digs tżallan midden žemuεa.
iqqur allig ur-iqqim ġas yiwn ušbud.
ih’yu-t rebbi allig azizaw (zzi h’iya lmalik !) aynnag illan, annayġ-t !
Les pèlerins se réunissaient pour prier à côté d’un cèdre là sur la pente.
Puis l’arbre devint squelettique ; il ne restait plus qu’un moignon.
Le Seigneur l’a ressuscité, l’arbre a reverdi (à l’époque de l’indépendance).
Cela est stricte vérité, j’en ai été témoin (15)!
Fragment de tamdyazt
2) tεeqqelġ-am, a tazizawt, am lgirra,
3) hat-in tεawžεutt ur-sar tbalid,
4) žemmeε leqbel d-uzaġar allig nn
5) yan inniġ-am iεqba s-ugari,
6) ššarr iġsan n-irumin d wi
7) lmužahidin amm idwan ggwašal !
De toi me souviens, Ô Tazizaout, comme d’une guerre, Assurément Taoujjâaout jamais vieille ne deviendra,
Ceux de la plaine et de l’Orient contre nous se sont Ligués, avec des armes perfectionnées nous ont poursuivis,
Les ossements des Chrétiens sont avec ceux des combattants
Musulmans entremêlés tels des pierres jonchant le sol (16)!
8) a wa lixra, tella awd žaž n-txamin, (tamawayt taqdimt)
9) yuf mš inġan iżiyyan, a sidi εli ġurš!
Si je dois par les Zaïans me faire trucider parmi les campements,
M’est préférable de tomber à tes côtés, ô Sidi ‘Ali Amhaouch !
10) meqqar xelfen waman d-tuya, xelfen awd igran, a mulay (tamawayt)
11) h’mad, ur riġ annaley zirš, ixeşş-aš lmehdi d-tsaεya-nnes!
Même si revivent eaux, herbage et champs, Ô Moulay Ahmed,
Vers toi monter je ne puis, car me manquent Lmehdi et son Lebel (17)!
12) ay ayt, ay ayt, ur kwni d-ismun s-aynna išerð ġifun, (ahellel)
13) adday d-iddu wrumi d-idišl ak-tilim!
Ô gens des tribus, le premier venu ne le suivez point,
Lorsque viendra le Chrétien, à Idikel vous vous regrouperez !
14) annayx afiwn xf tužžut εelm llah (ahellel)
15) ayyur ay tetššan ist sidi εli!
Des feux sur le Toujjit ayant aperçu, en ce mois ai su que Dieu M’apprenait que par le danger les filles de Sidi ‘Ali étaient menacées !
16) ay uššen n-wanargi, a wi n-muriq, aggat ġer (ahellel)
17) tefza, a-tinnim aferran nna digs illan!
Ô chacal d’Anergui, et toi son compère du Mouriq, allez surplomber
Tafza, du brasier qui l’enflamme y serez témoins (18)!
18) ay ayt iqšmirn kku-d awn-qqarx iteqqarn, (tamawayt)
19) imswa bu-llama day-i-tennit !
Ô gens des falaises, vous répondez à chacun de mes appels, Sage la parole de l’homme au regard perçant (19)!
Fragment de tamdyazt sur le Tazizaout
20) tšix tiġeddiwin d wabu, tšix lfula,
21) ur-diyi th’adert, ay ul!
22) a ta, xes ssemarq aman ur-iyin ša nsay-is!
De carde et férule me suis-je nourri, ainsi que d’haricots sauvages, Pour supporter tout cela n’ai plus le coeur !
D’eau saumâtre me suis contenté, le ventre vide me suis couché !
23) nššay ixf i-wh’diddu, nššay-as tazeţţat,
24) ššix-am ixf, a tmazirt nna wr-issin!
Aculé, chez l’Ou-Hediddou m’en vais, à sa protection m’en remets,
C’est dans un pays inconnu que je pénètre !
25) ay aεri, ay aεri nn wadda ur-ikkin ġur ssuq,
26) ikka yan usiyh’ri nnig-i, iţţef-aġ tanfiðin!
Combien chanceux qui au souk ne s’est point rendu;
Un avion nous ayant survolé, de bombes nous a arrosés!
27) ikker yan bu zzit ad-irwel, išedd-as uðar,
28) inġel ġifs uydid, iqqim ar-iðżemma !
Un marchand d’huile dans la fuite le salut chercha, mais glissa,
Sur lui l’outre se déversa, jusqu’à la dernière goutte l’essora !
29) ikker yan bu wattay, inġel ġifs lhenna,
30) a lwali-nu, a wa, llig ur-tekkat ša!
31) tadžt bunadm, ad-iddu zzik ad-ur-t itfur lεar!
Sur le marchand de thé se déversa le henné ;
À quoi bon, père, puisque de te défendre tu es incapable!
Laisse les gens de bonne heure partir, que la honte les épargne !
32) llulan iširran meżżin, h’adern i ti n-dzizawt yan išiban,
33) a wayd imun s-aytmas. in-as y-iziyyan: tšat timizar!
34) ku yass asekkin ad-ilin i ssuq ġas wenn-asen yudern ddaw tlibit!
Des enfants sont nés, l’un eux – un ancien – a assisté aux combats de Tazizaout ;
Puissé-je mes proches acompagner . Dis aux Zaïans : « Dans les contrées sévissez! »
Chacun au marché peut tout trouver, sauf celui qui gît sous le gazon (20)!
Corpus de la région du Baddou
35) ih’ars-aġ baððu yuwey-aġ aman, (izli)
36) da-ţeşşa leġlubit-inw iselli !
C’est le Baddou qui d’eau m’a privé,
Jusqu’aux cailloux qui de moi se moquaient!
37) anawiġ izreg anawiġ tuga mek-aġ- (izli)
38) iqadda weġżaż nselmi akal ula ddellt urumi !
De plantes ou herbes me contenterais si faisait défaut le grain des Musulmans ; /
Manger la terre m’est préférable à la domination du Chrétien !
39) tenna-yaġ nnan ayt h’liddu agg-žran, (izli)
40) mah’edd asif mellul ur-ihenna !
S’est produit ce qu’avaient prévu les Ayt Hadiddou,
Même l’Asif Melloul n’est plus un refuge sûr !
41) inn-ak bab n-wayyad ur-da-yi-tekkan imnayn, (izli)
42) uεreġ ay aneždi bu-tsurift !
Le Bab n-Ouayyad te dit : « Aucun cavalier ne peut me Franchir,
Suis difficile même pour le fantassin courageux ! »
43) a hay, a wa, šuf ayd-ssalin ibennawn, (izli)
44) a hay, a wa, iggall rebbi lebruž rruyen !
Regarde donc ce qu’ont bâti les maçons,
Dieu a juré de réduire tout cela en ruines !
45) mer ssineġ idd ad-anġ-issikl, (izli)
46) is ddiġ s-εari n-baððu wr-nttehwu !
Si j’avais pensé que j’allais être fait prisonnier,
Aurais rejoins le Baddou, pour y monter bonne garde !
47) a tislit n-baððu, maxf ur-temmud? (aferradi)
O fiancée du Baddou, pourquoi n’as-tu pas trépassée (21)?
48) ur-illi wmala y tuga n-wasif (izli)
49) ar-ittazzla bu meεz ar εari!
Tazizaout et Baddou Absent l’herbage ombragé en bordure de torrent,
C’est vers les hauteurs que s’enfuit le chevrier !
50) adday ššaran itbirn awġn imendi g wanrar (izli)
51) ar-isexsarr wi n-εari wi n-iġrem ad-itsmun!
Lorsque s’assemblent les ramiers à picorer grain sur l’aire,
Celui des monts entraîne celui du bourg (22)!
Fragment de tamdyazt sur l’après-Baddou
52) ay inselmen d-irumin adday tennaġn
53) išqa lh’al n ku yan ira ad irru wayð!
Lorsque s’affrontent Musulmans et Chrétiens, sont
Durs les combats, chacun voulant l’autre terrasser !
54) yaġ-i lεar mš id ul-inw asenðah
55) ssif ay id ihuzzen zarš, ay afa!
Pénible en mon coeur de la reddition le déshonneur,
La lame de l’épée est vers toi levée, ô flamme !
56) nsul rix lžihad ur-ta-nuh’il,
57) isul ġurx bab l-luqt asenðah!
Infatigablement je désire encore guerre sainte mener,
Le Maître de l’Heure cependant envisage de se rendre !
58) tsemmart tamelli gg-ul-inw ur-tsul!
59) tuf-i lmutt ula derġ-awn al-ġiyyar!
La bonté en mon coeur n’est plus !
Plutôt la mort que de l’existence le chagrin !
60) nsul rix lžihad ur-ta-neεniq,
61) nuġul dar-t baððu ar-kkatx!
Je souhaite le combat poursuivre, n’est point vain,
Revenons derrière le Baddou, faisons le coup de feu (23)!
Poésies frivoles et/ou pédagogiques (toutes régions confondues)
62) tarwa l-luqt, a ššib-i (llġa)
La jeunesse d’aujourd’hui me fait grisonner le chef !
63) ikka wbrid usmun aqšmir (izli)
64) ur-ssinx magg itεşar uðar !
Je ne sais où m’engager, car le sentier
Que foule le pied de l’ami longe le précipice (24)!
65) wenna yellan zzin iferh’ iy-as ul aynna ran (tamawayt)
66) wenna yellan mxiba ammi da yferru lbrussi !
Quiconque possède femme belle a le coeur comblé, (distique)
Quiconque possède femme mauvaise est semblable à celui qui doit
D’un procès s’acquitter (25)!
67) εayd, a wa, ula ma ġif tiwit azal! (llġa)
Reviens auprès de moi, ne t’expose point au démon de midi !
68) ullah, a mr lliġ ixf ur-sar tiţşşaġ, zzεent-i d šraţ mixibbin : (izli)
69) hat awsser, ha lixra, tager žihennam, mš-i-tumż g winna yiġ !
Si j’étais sensé, ne sourirais plus. Me traquent trois maux :
Vieillesse et Au-Delà, vous voilà, mais point n’est pire
Que l’enfer si pour les forfaits que j’ai commis il me châtie (26)!
70) inn-aš ugerru mayd iggan adday iwet umetna? (izli)
71) aman as-tekkat hay-i žaž n-widdx itteddun!
Ainsi parle grenouille : « Qu’ai-je à faire des ces ondées ?
Ne sont que pluie ! Or le domaine liquide, déjà j’y suis ! »
72) mr-idd ižmuεen ur-telli ddunit tawuri
73) lumur ddex asuffen ayt tudert ayt issenðal!
Ah, si ce n’étaient les rencontres ici-bas !
C’est grâce à Cela que les vivants sont meilleurs que les morts !
74) ur-illi u-lh’amm užaž mš irża iddu,
75) ula day-iţessa leεqqel nnay iġiyer ša !
Véhicule cassé point ne repart ; c’est
Ainsi que personne vexée le rire ignore!
76) ay amsafer, mani tamazirt nn-aš-ira wul?
77) idd εin luh’, idd immuzzar ma tiġessalin ?
Ô voyageur, vers quel pays te mène ton coeur ?
Vers Aïn Leuh, Immouzzer, ou Tighessaline ?
78) nnan rezzaq abda d-lmižžal ur-sar din, (izli aferradi)
79) dġi ha rezzaq ismar, lmižžal ur-ta ismir!
On dit que les moyens de subsistance qui te reviennent sont selon ta
Durée de vie, or richesse s’épuise alors que se poursuit la vie (27)!
80) a tawgrat n-ult εisa allig wadda wr-ssinx
81) ur-da-ssental midden nna wr-ittubda i-temara!
O Taougrat des Ayt Ayssa, jusqu’à preuve du contraire,
Sont cachottiers les gens auprès de celui qui la misère ne connaît point (28)!
82) inn-aš sidi ububker, šuf rebbi, šuf aya d ixleq,
83) raεa ţţir, may-t yulan, allig iqqiman, ur-isseni-d, ur-iskita !
Sidi Bou Bker te dit : « Observe Dieu, observe cette créature,
Vois cet oiseau, comment vole-t-il sans aide. Ne se repose ni ne tombe ! »
84) awal n-ububker inn-aš: ih’ey h’edd yan uryaz at-ineġ.
inn-as ububšer: amur-nš at-qad-ineġ uryaz-a!
tfeġġ leεmart lkerbus. immet waddax n-ih’eyn aryaz
ġer sidi ububšer, immut y-imi l-lbab!
A ce qu’on dit un homme se faufilait pour en tuer un autre.
Sidi Bou Bekr lui dit : « La protection sur celui que tu vas abattre ! »
La cartouche sortit du fusil mais atteignit alors l’assassin en herbe ;
Auprès de Sidi Bou Bekr s’effondra, sur le pas de la porte (29)!
85) a tawtat n-ayt dεud u-εezzi
86) ay tnseġ a-tšettabt i-wġyul!
Ô noir pompon du capuchon d’Ayt Daoud ou-Azzi,
Je savais que tu étais destiné à être par un âne mangé (30)!
Conclusion
Voilà donc deux montagnes emblématiques, deux épopées exemplaires de la résistance marocaine de haut mont, officiellement occultées jusqu’à tout dernièrement, mais hantant malgré tout l’inconscient collectif des populations riveraines, tout en affichant, à ce que l’on a vu, certaines différences sur le plan de la géographie physique. Par ailleurs, si nous avons exposé les résultats de recherches approfondies en ce qui concerne le Tazizaout, le dossier Baddou, quant à lui, notamment en matière de collecte sur le terrain, relève quelque peu de l’inachevé. Raison pour laquelle il convient d’envisager cette note de recherche en tant que document provisoire, en attendant de conclure le programme d’ensemble envisagé. NOTES
1 Cf. tamdyazt xef tzizawt in A. Roux & M. Peyron, Poésies berbères de l’époque héroïque, Maroc central (1908-1932), Aix-en-Provence, Édisud, 2002 (pp. 194-200) ; M. Peyron, « le Tazizaout d’après les comptes-rendus des militaires français de l’époque (1932) et dans l’inconscient collectif », Colloque « Sites de mémoire et tradition orale amazighe », (M. Peyron, éd.), Ifrane, Al-Khawayn Press, 2007 : 34-43 ; M. Peyron, « Oralité et résistance : dits poétiques et non poétiques ayant pour thème le siège du Tazizaout (Haut Atlas marocain, 1932) », Études & Documents Berbères, 25-26, 2007 : 307-316.
2 Une autre version attribuerait le nom à la couleur verte du turban darqaoui, secte à laquelle étaient rattachés Sidi ‘Ali Amhaouch et sa descendance.
3 Cf. G. Ward Price, In Morocco with the Legion, London, Jarrolds, 1934 (p. 159). 4 D’après Moha ou Moh Idrissi, Ikasen, le 21/05/2006.
5 Ou-Ben-Ali (Bou Imtel, Ayt Sokhman) nous expliqua qu’avant de se réfugier dans l’Aqqa n-Ouchlou, Sidi Lmekki avait campé peu de temps dans un ravin rive droite, de l’Aqqa n-Widammen appelé Aqqa n’Ali ou Zaïd, le 21/05/2006. Confirmé par Haddou ou Hammou de Tafza, le 21/05/2007. 6 Le nom de l’Aqqa n-Zobzbat a été changé par souci de rendre hommage aux morts, car, après le massacre des résistants, le ruisseau aurait coulé rouge, d’où le nom actuel : « Ravin de Sang » (aqqa n-widammen).
7 Cf. A. Guillaume, Les Berbères marocains et la pacification de l’Atlas central, Paris, Julliard, 1946 (p. 364).
8 Selon Hmad ou-Ali, Ikasen, le 25/08/2005. 9 Selon Ou-Ben ‘Ali, le 21/08/2005.
10 D’après Houssa Yakobi, le 20/08/2005. Le grand cèdre est également connu sous le nom de itgel amažžyal (= ‘cèdre du haut, supérieur’). 11 Selon Sidi Moh Azayyi, Assaka, le 23/05/2007.
12 Lhajj Nasser Bouqebou, Aghbala, le 24/08/2005.
13 Cf. G. Ward Price, op. cit., 1934.
14 Lors de notre dernier voyage au Tazizaout en compagnie de Michel Morgenthaler, en mai 2007, nous avons trouvé des débris de verre identiques parmi les ruines d’un ancien poste de la Légion sur la crête à l’est du Tizi n-Ighil, face au Tazizaout.
15 Sidi Moh Azayyi, Assaka, Ayt Sidi Yahya ou Youssef, le 18/08/2005.
16 De la bouche de Moha ou Moh Idriss, Ikasen, le 21/05/2006. Ensemble donné comme série de timawayin, mais s’agissant sans doute d’un fragment de tamdyazt ; cf. J. Drouin 1975, Un cycle oral hagiographique dans le Moyen-Atlas marocain, Paris, Sorbonne, 1975, p.128 & M. Peyron, 2007, p. 314.
17 Ce sont des timawayin récitées par Ou-Ben Ali à Taddart Tafraout n-Oumrabd, le 22/05/2006. La première, d’après les standards locaux, est une tamawayt taqdimt, morceau ancien remontant probablement à l’époque de la guerre intermittente entre Zaïan et Ayt Sokhman (1877-1909) au cours de laquelle Sidi ‘Ali Amhaouch appuyait les derniers. Il démontre clairement la vénération dont faisait l’objet le saint homme auprès de ses ouailles. La seconde tamawayt, se référant à Sidi Mhand Lmehdi, marabout guerrier et fin tireur, situe l’action au temps du Tazizaout.
18 Trois prophéties du type ahellel attribuées à sidi bubšel, un ancêtre de Sidi Lmekki ayant vécu fin-18ème/début-19ème siècle (Ikasen, soir du 23/05/2006); les deux premières, récitées par Ou-Ben ‘Ali, constituent des variantes de matériaux déjà collectés ; (cf. V. Loubignac, Parlers berbères des Zaïan et Aït Sgougou, Paris, Leroux, 1924, p. 444 ; A. Roux & M. Peyron, Poésies berbères de l’époque héroïque, pp.190 & 192); la troisième, de la bouche de Moha ou Moh Idrisi d’Ikasen (Ayt Sokhman), qui semble annoncer les déluges de feu s’abattant sur le Tazizaout, mais auquel échapperont les gens des environs d’Anergui, est apparemment inédite.
19 Strophe présentée comme « dit du Tazizaout », awal n-tzizawt, par Sidi Moha Azayyi, Assaka, Ayt Sidi Yahya ou Youssef, le 23/05/2007.
20 Demi-douzaine de strophes, recueillies le 02/01/2008 à Ourtan, par Zawit ech-Cheikh. Vers attribués à Taoukhettalt, célèbre poétesse des années 1930, et provenant sans doute d’une tamdyazt plus longue, sur l’épopée du Tazizaout. Ensemble cité de mémoire par Mouna ‘Addi, mère adoptive de Houssa Yakobi, issue de la famille de Qoujjane Ou-’azzou, célèbre résistant dont les proches sont actuellement installés à Lmizan à 1 km de Naour, route de Tizi n-Isly. On y trouve des allusions aux privations des résistants ; à la possibilité, en dernier recours, de se réfugier chez les Ayt Hadiddou ; au bombardement du souk de Tanaghmast ; à la veulerie des uns ; au sens du déshonneur qui obsède d’autres tentés par la soumission (allusion au henné, dont les femmes badigeonnaient le dos de tout poltron qui fuyait) ; aux résistants retranchés dans les abris d’Aqqa n-Ouchlou dans l’espoir de se soustraire aux Zaïans.
21 Distiques traditionnels, izlan, des Ayt Merghad rappelant la dernière campagne du Jbel Baddou de l’été 1933. Poésies déjà notées par un poète amateur ou-Merghad, du nom d’Aomar Derouich, dit Taws, remises à l’auteur à Ifrane par un Ou-Merghad originaire de Goulmima nommé Lahcen, époux d’Ibtissama Sebti, printemps 2001. Le tout dernier vers, largement connu dans la région du Haut Gheris, qui exprime la détresse de la fiancée du Baddou dont est mort le futur époux, serait un exemple de vers isolé, aferradi.
22 Deux morceaux récités par Hssein Qoujjane, Tiydrine n-Ayt Merghad, Haut Gheris, le 10/01/2007 ; ces vers ont pour contexte l’époque des combats du Baddou, où les résistants incitaient les ksouriens à se rallier à eux.
23 Fragment de tamdyazt, qui nous a été récité par Moha Ou-Sri, à Amellago, Gheris, le 06/01/2008. Vers attribués à Saïd ou-Hmad ou-Tararout, ancien compagnon de Zayd Ou-Hmad, le jusqu’au-boutiste des Ayt Merghad, et datant sans doute du lendemain de la chute du Baddou (fin-1933).
24 Distique précédé de son refrain ; Haddou Chaouch, cassette entendue à Tounfit, le 17/08/2005.
25 Ou-Termoun, muqqadam d’Assaka, mari de Labha, Ayt Sidi Yahya ou Youssef, le 18/08/2005 (cf. M. Peyron, Isaffen Ghabanin/ Rivières Profondes, Casablanca, 1993).
26 Il s’agit d’un izli didactique des années 1960, précédé de son refrain (llġa), de la bouche d’Ou Ben-‘Ali, poète amateur, Bou Imtel, Ayt Sokhman, le 21/08/2005.
27 Distiques didactiques, dont les 78-79 du genre aferradi, de la bouche d’où Ben ‘Ali, Tafza, Tazizaout, le 21/05/2006 ; les vers 72-73 et 76-77, quant à eux, seraient attribuables à Ajouaou, barde de Tirghist, Ayt ‘Ammar ; les 74-75 relèvent du répertoire d’Ali Ou-Mekki de Tounfit.
28 De la bouche de Haddou ou-Hammou ‘Afif, Ighrem n-Tefza, Tazizaout, le 21/05/2007 ; semblerait être une bribe de joute oratoire dont l’un des protagonistes serait ni plus ni moins Taougrat, la célèbre poétesse aveugle des Ayt Sokhman d’Aghbala (cf. Reyniers, Taougrat, ou les Berbères racontés par eux-mêmes, Paris, 1930).
29 Deux « dits de Sidi Bou Bker », récités par Sidi Moha Azayyi, Assaka, Ayt Sidi Yahya ou Youssef, le 23/05/2007.
30 De la bouche de Hussein Qoujjane, Tiydrine n-Ayt Merghad, Haut Ghéris, le 10/01/2007. Le poète s’adresse sur un ton moqueur à quelque Filali au teint basané.