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S. Pouessel, Les identités amazighes au Maroc

Posté par Michael Peyron le 8 janvier 2012

Notes de lecture 

Stéphanie POUESSEL, Les identités amazighes au Maroc, Non Lieu, 2010.

Travail de doctorant rédigé en vue d’une soutenance de thèse sur le très complexe sujet de l’amazighité (timuzġa), dont voici la version grand public, d’entrée de jeu l’auteur souhaite se démarquer  des « coopérants chercheurs sous le Protectorat ». Catégorie du reste inexistante, les coopérants, pour autant, que je sache n’appartenant qu’à la période post-Protectorat. L’auteur, qui appartient à la jeune génération montante des chercheurs français tournés vers le Maghreb, nous prévient qu’elle s’est basée en partie sur des Amazighes de 3ème ou 4ème génération en France, faussant ainsi les données car, divorcés de leur cadre d’origine, les intéressés ne réagissent nullement comme s’ils étaient au pays (p. 6). De plus, certains ne connaissent plus la langue amazighe.

 

Pouessel tend de trouver des excuses pour une recherche majoritairement excentrée par rapport au terrain (l’Atlas et le Sud marocain). Chevauchant peut-être là le dada de son directeur de thèse, elle « envisage les différents champs d’inscriptions de l’ethnicité et d’opérer ainsi à sa démystification » (p. 8). Il est clair, cependant, qu’elle s’est rendue au Maroc à plusieurs reprises afin de mieux s’imprégner de la réalité amazighe. Démarche nécessaire pour une quasi-néophyte en questions ès-berbères.

 

Pour ce qu’il en est des dynasties du « groupe berbère », on notera que les  Almoravides sont venus avant (non pas après) les Almohades. Avancer une supposée absence d’écriture en ces temps-là comme obstacle à l’unité linguistique ne tient pas la route.  La majorité des ruraux habitant les plaines atlantiques entre le XIe et XIIIe siècle, amazighophones, parlaient une langue proche de la Tachelhit, nommée lisan al ġarbi. Celle-ci pouvait se rédiger en caractères arabes, à l’image des nombreux travaux écrits des ṭṭelba du Souss (p. 14) ; il existait par ailleurs des dictionnaires arabo-berbères afin de faciliter la tâche aux usagers (cf. N. van den Boogert, 1998). Largesse d’esprit médiévale contrastant positivement avec la période post-coliniale de la fin du 20ème siècle.

 

La thèse selon laquelle la renaissance berbère repose uniquement sur l’élite intellectuelle de Rabat (véritable nébuleuse imaginaire créée de toutes pièces par Pouessel, et qu’elle évoque plusieurs fois dans son ouvrage, pp. 102, 128 & 167) ne constitue qu’une demi-vérité. Si les universitaires marocains, notamment ceux de la diaspora y ont puissamment contribué, certes, la part des gens du cru, du fin-fond du bled, surtout depuis l’émergence du sentiment de hogra, n’est pas négligeable. [Bien que ne citant pas explicitement le terme hogra, l’auteur semble y faire allusion lorsqu’elle signale l’essaimage des revendications identitaires amazighes vers les « zones rurales périphériques » (p. 107).]

 

En revanche, il est erroné de prétendre qu’il existe une unité culturelle berbère, la planète amazighe – c’est bien connu – comptant de multiples composantes chacune marquant des nuances (p. 16).

 

Il aurait fallu aussi signaler que « l’arabisation des berbérophones », en cours depuis treize siècles, a pour corollaire un bilinguisme fort actif et que cela ne fonctionne pas à sens unique ; la langue amazighe, a force de cohabiter avec fusḥa, a produit dariža, ce que reconnaît du reste l’auteur (p. 159).

 

A mon avis on fait fausse route en apposant l’étiquette commode du « subalternisme » sur le renouveau amazigh alors que celui-ci est dans l’air du temps, allant de pair avec la réhabilitation des peuples autochtones et de la culture orale (pp. 22-23).

 

Les évènements de 1994 à Goulmima, qui serviront de déclic politico-culturel dans la lutte identitaire amazighe au Maroc, sont mentionnés (p. 24, également pp. 53, 59, 63 & 129) sans plus de détails. Quant à l’officialisation de l’Amazigh, à propos de laquelle Pouessel exprime des réserves, c’est chose faite depuis juillet 2011.

 

Il existe malheureusement beaucoup de désinformation à propos de la standardisation de cette langue. En fait, plutôt à l’aise entre les diverses variétés dialectales, les Imazighen parviennent à un certain degré de compréhension mutuelle qui tend à démontrer que la standardisation se fera non seulement grâce à l’IRCAM, mais aussi et surtout grâce à l’interaction des intéressés. Les 22 étudiants berbères marocains qui fréquentent mon cours de littérature orale en sont l’illustration vivante.

 

Le chapitre sur « L’arabe : langue et culture du nationalisme marocain », hormis qu’il fasse remonter la dynastie alaouite au XIIème siècle (!!), nous livre un résumé satisfaisant de la question. Cependant, on y trouve un aperçu biaisé, schématisé du dahir berbère et l’on fait la part belle au salafisme en négligeant le wahhabisme. On omet de signaler que l’IERA a été fondé explicitement comme contrepoids à l’IRCAM – combat d’arrière-garde – pour défendre fusḥa, alors que dariža est la langue nationale de l’écrasant majorité des Marocains (pp. 27-32). Quant au « complexe de la berbérité » celui-ci remonte aux années de l’immédiat post-Protectorat, avec son obnubilation moyen-orientale et le « tout pour l’arabe » mâtiné d’influences jacobines; tout ceci précédant de quelques années le regain d’intérêt universelle pour les langues vernaculaires, dont entre autres le Breton, le Catalan, le Gaëlique, le Gallois, phénomène déterminant dont a grandement bénéficié la langue amazighe.

 

Concernant les Noirs on retiendra que beaucoup d’entre eux sont berbérophones, mais qu’Essaouira-Mogador (tassurt), capitale des Haha (iḥaḥn), où se déroule le très branché festival des ignawn ne fait pas partie du « sud marocain », mais du Maroc atlantique (p. 47). A la p. 50 on frôle le farfelu avec l’amalgame Mogador-lusophonie-Brésil.

 

Quant à la faiblesse de la tendance « amazighisante » chez les Chaouïs de l’Aurès (p. 57), il suffit de visionner le film La maison jaune, au dialogue tout entier en tašawit, pour se persuader du contraire.

Il est vrai, aussi, que bon nombre de jeunes de Rachidia (Imteghren) effectuent leurs études en Agadir, d’où la confusion faite par l’auteur entre Sud-Est et Sud-Ouest marocain (p. 61). Si, par ailleurs, certains militants de Tinghir traitent l’IRCAM d’iršan (‘saleté’), ils conservent la célèbre et incontournable lettre z emphatique, signe berbère passe-partout. A ce titre, l’auteur aurait pu mentionner le militantisme de la chanteuse Fatima Tabaamrant qui, sur scène, fait le salut amazigh des krad iḍuḍan (‘trois doigts’). L’auteur semble également faire sienne certaines opinions critiques à l’égard de l’IRCAM, en oubliant un peu vite que cet organisme a le mérite d’exister ; qu’il a mis en place l’enseignement de la Tamazight, facilité la recherche sur le terrain, organisé de nombreux colloques et produit une trentaine de publications dans le domaine des études amazighes – chose impensable sous Hassan II. Prétendre que cet organisme cherche « à tuer l’amazighité » (p. 126) est une inexactitude notoire.

 

L’auteur semble encore cautionner les idées « istqlaliennes » concernant le dahir berbère, en évoquant des arguments issus d’une mythologie anticoloniale actuellement dépassée. De nos jours il est vrai, c’est du « dahir de 1930 » que parlent les militants amazighs, ou du « dahir de l’Istiqlal », ce qu’admet l’auteur du bout des lèvres (p. 83). Du reste, elle a tendance à prendre pour argent comptant un important corpus de littérature révisionniste (Ageron, Hammoudi, Laroui, & al. des années 1960-2000) qui s’emploie à brouiller les cartes. Ainsi assiste-t-on à une caricature de la recherche coloniale sur les Berbères, celle-ci étant qualifiée de « racialiste » (p. 69). Ceci est en phase avec certains chercheurs de l’actuelle génération, à tendance quelque peu « misérabiliste », qui cherchent a posteriori à disqualifier la philosophie de leurs devanciers en leur collant des étiquettes peu flatteuses. C’est oublier un peu rapidement la sympathie que des « Berbérisants » comme Roux éprouvaient à l’égard des ces populations – du souvenir de leur passage qu’ils ont laissé chez elles. Roux qui avait parfaitement compris qu’il était vain de rechercher une langue amazighe pure, dépourvue d’arabismes.

 

Quant à l’interprétation de l’histoire de l’AFN des chercheurs de l’époque coloniale celle-ci ne cherchait pas à minimiser l’islamisme médiéval (p. 71) ; elle tendait simplement à affirmer qu’il y avait eu un riche passé préislamique. A ce propos on s’en prend avec délectation à Robert Montagne, une des cibles préférées des historiens révisionnistes, alors que ce chercheur a réalisé une étude très fine (Pouessel l’a-t-elle seulement lue ?) des sociétés du haut Atlas occidental.

 

Nous ne polémiquerons pas avec l’auteur sur le « mythe kabyle », ni à propos de la politique coloniale de Lyautey au Maroc, nous étant exprimé par ailleurs sur ce deuxième sujet (pp. 74-78). Il en va de même des « réserves de barbares blancs » (Peyron, 2009) chères à Jacques Berque.

 

D’un autre côté Pouessel a raison de mettre en relief l’importance accordée par les Imazighen à la notion de « marocanité » (p. 93, tamġrabiyt).

 

L’auteur évoque une fois de plus cette élite berbérophone de Rabat en tant que « moteur » de l’amazighité (p. 102), en oubliant la contribution significative des intellectuels amazighs issus directement du bled (A. Iken, Z. Ouchna, H. Yakobi, H. Khettouch, A. Skounti, etc.), dont certains n’ont pas fait d’études en Europe.

 

Au sujet du droit coutumier il est vrai que l’on cherche à le réactualiser ; vrai aussi que la prison ne fait pas partie de l’arsenal juridique des izerfan, la peine de mort non plus pour la plupart d’entre eux. Il est, par contre inexact de prétendre que la peine capitale était inexistante (p. 121) ; des cas de précipitation du haut d’un rocher sont cités par Berque (Structures sociales du Haut Atlas, 1955), ainsi que par Gellner (Saints of the Atlas, 1969).

 

Le chapitre sur la « datte pourrie » réussit le tour de force de schématiser en une phrase (p. 125) près de trente ans de résistance anticoloniale dans le Sud-Est marocain. C’est vraiment faire « bon marché » des épopées du Tazigzaout, du Bou Gafer, du Baddou, et j’en passe, sites de mémoire en voie de sacralisation où tant d’Imazighen ont donné leur vie. Par contre, il est clair que certains jeunes militants du Sud marocain pratiquent actuellement un « jeunisme » exacerbé et injustifié lorsqu’ils proclament à l’intention des premiers militants de Goulmima : « L’histoire vous oubliera. (p. 128)» Ce n’est en tout cas pas vrai en ce qui concerne Ali Iken, auteur du premier roman en langue amazighe, asekkif inzaden, car mes étudiants lui ont réservé un accueil plutôt enthousiaste lorsqu’il est venu la semaine dernière faire une intervention dans mon cours.

 

Autre point important : on notera que bien que de nombreux festivals amazighs soient régulièrement organisés (p. 131) il faut tout de même relever en parallèle une volonté assez forte de « dé-folkloriser » la culture berbère.

 

Qu’on le veuille ou non, pour des raisons pratiques d’universalité, c’est la graphie latine, plutôt que l’écriture arabe ou les Tifinagh (pp. 139-140, 153), qui demeure très largement utilisé dans le monde universitaire. Ce qui n’est pas incompatible avec une utilisation, souvent décorative et limitée des Tifinagh, ce qui sert à donner à l’amazigh une profondeur historique (pp. 147-148). Cependant, la souplesse reste de mise. En effet, les claviers des ordinateurs de l’IRCAM comportent des touches permettant de passer d’une graphie à l’autre quasi-instantanément.

 

En définitive, la querelle autour de la standardisation de l’amazigh ou du maintien de « standards régionaux » (pp. 163-165), entre l’IRCAM et des chercheurs basés en France comme Abdellah Bounfour et Salem Chaker, me semble à la fois byzantine et contre-productive. Mon expérience du terrain tend à démontrer que des Imazighen aux idées ouvertes, et ayant voyagé à travers leur pays, peuvent fort bien s’adapter à d’autres variantes de l’amazigh que la leur. Sans vouloir dénigrer les efforts de l’IRCAM, ce sont par conséquent les locuteurs natifs de la langue, dans leur grande diversité, qui aboutiront en son temps à une forme de standardisation de fait, tout en respectant la tamġrabiyt.

 

Constatation édifiante : on ne peut qu’être d’accord avec l’auteur lorsqu’elle affirme : « C’est clair, l’amazighité constitue bien le substrat de la culture marocaine aussi bien démographiquement que culturellement. (p. 161)» Enfin, malgré les quelques réserves émises ci-dessus, on peut féliciter Stéphanie Pouessel d’avoir en un temps relativement restreint fait le point sur un problématique plutôt complexe, aux multiples facettes, et où il est malaisé de trouver des explications simples à une situation confuse, fruit d’une longue histoire suivie d’une période de recherche identitaire de la part des Imazighen.

 

michael.peyron@voila.fr

 

 

 

Publié dans General Berber History | Pas de Commentaire »

Analyse thématique conte « Les Tours jaunes »

Posté par Michael Peyron le 8 janvier 2012


Aïcha OUZINE

Etudiante Master LCA

FLSH Rabat

S1, cours ‘Lectures de textes’ de Michael Peyron

 

Analyse thématique du conte lbruj iwraġn, tiré de Textes dans le parler des Aït Seghrouchen de la Moulouya de Jean Pellat, (Paris,1955, pp. 30-37).

 

Le conte lbruj iwraġn  (‘Les Tours Jaunes’) est extrait de l’ouvrage sur les Aït Seghrouchen de la Moulouya de Jean Pellat, Ce conte est présenté en une version amazighe, et une autre en français traduite par l’auteur. Le texte en question relève de la tradition orale amazighe, laquelle est un héritage collectif et dispose d’une structure linguistique particulière. Cette littérature est également un enseignement et engage la société. Elle est tout simplement le porte-parole de la pensée et des valeurs collectives.

Et c’est dans ce cadre que relève notre conte, objet de l’analyse.

 

Mais d’abord qu’est-ce  qu’un conte ? Le conte est un récit de pure fiction, l’héritage d’une tradition, d’une mémoire collective où le conteur puise tout en y imprimant sa marque propre. Le conte répond au besoin intérieur d’une communauté de culture et d’intérêt, et il est aussi exutoire à toutes sortes de frustrations. Il est également une forme privilégiée de loisir dans la société traditionnelle où la dimension ludique et l’ironie ne sont pas absentes.

 

Le conte lbruj iwraġn est situé dans un cadre spatio-temporel indéfini, indéterminé, et fort loin dans le passé. Aucune mention du temps n’est faite, même pas l’une de ces expressions très connues des contes, à savoir, « Il était une fois… », « Il y a bien longtemps… », ou encore « En ce temps-là… ». Quant au cadre géographique, quelques mentions par-ci par-là pour situer l’histoire dans un milieu merveilleux où l’imaginaire croise le réel pour nous présenter un monde autre.

 

Quand on parle de conte, on parle d’une histoire et d’un récit. Les acteurs de ce récit sont les personnages. Ils peuvent être humains comme ils peuvent être des animaux ou des arbres.

Notre conte est par excellence un conte merveilleux où les personnages humains et animaliers vivent en cohabitation et/ou en confrontation. Leur  intérêt  ne réside pas dans leur psychologie mais dans la fonction qu’ils occupent dans le récit.

 

La lecture du conte nous a permis de dégager plusieurs types de personnages. Et nous pouvons les classer comme suit selon leur apparition dans le texte :

-       Le mari : homme sans enfant, chasseur, ramenant chaque jour sept perdrix à la maison, mais également cultivateur car labourant un champ,

-       L’épouse : femme sans enfant, qui après avoir supplié Dieu, enfanta d’une fille sortie de son petit orteil,

-       La fille : fille magique, née du petit orteil de sa mère, épouse du chasseur, une fois chez le roi, elle n’est plus considérée comme telle, elle est appelée ‘femme’,

-       La perdrix qui nourrit la fille cachée,

-       Le petit moineau, substitut de la fille pour épouiller la barbe du père, le mari de la mère,

-       Le roseau de la forêt d’un roi et qui abrite la fille,

-       Les chameaux et chamelles en pâturage dans le bois du roi,

-       Le roi : propriétaire du bois, et celui qui a récupéré les trois morceaux du roseau qui abritait la fille,

-       Le berger : berger du roi, gardien des chameaux et chamelles dans le bois,

-       Le garde : annonciateur de la corvée générale pour la coupe des roseaux qui constituent la cachette de la fille,

-       Un travailleur du roi : participant à la corvée de la coupe des roseaux, qui coupa le fameux roseau en trois morceaux,

-       La femme du roi : femme et épouse suspectant son mari le roi de lui mentir à propos de la présence d’une personne tierce dans la chambre de l’étage supérieur,

-       Le fkih : l’auteur de la lettre au roi pour qu’il parte en campagne au bord de mer,

-       Le valet : valet du roi, scellant son cheval, et gardien des sept clés qui ferment les sept portes derrière lesquelles est cachée la fille-femme l’héroïne),

-       Le coq : le complice de la femme du roi, enfin sa première femme, et celui qui a retrouvé les sept clés,

-       La bague : en possession de la fille-femme, laissée à la première femme du roi, elle sera le lien entre la fille et son roi, annonciatrice du départ de la fille, au début mais annonciatrice du retour du premier roi à la fin et symbole de l’union et de l’amour,

-       Le roi : le deuxième roi, qui épousa la fille-femme, propriétaire des Tours Jaunes,

-       Le cheval : cheval du premier roi, qui accepte d’être sacrifié pour aider le roi, son maître dans sa quête de la fille-femme,

-       L’oiseau : le guide du premier roi, et son transporteur vers les Tours Jaunes, l’oiseau aux sept flacons de sang et sept morceaux de viande,

-       L’aisselle : aisselle du premier roi, ultime recours du roi pour la poursuite de sa quête et son voyage aux Tours Jaunes,

-       La négresse : négresse de la fille-femme devenue simplement épouse du deuxième roi des Tours Jaunes,

-       Le roi : mort du deuxième roi et victoire du premier roi, le héros et l’amour de la fille-femme,

-       Les administrés du deuxième roi devenus les administrés du premier roi.

 

Selon Vladimir Propp, les personnages sont classés en sept catégories et ce d’après les fonctions qu’ils peuvent accomplir.

Maintenant que nous avons énuméré nos personnages (humains, animaux, plantes, arbres, objets inanimés devenus animés) dans le conte, nous allons les classer selon leur importance dans le déclenchement et l’enchaînement de l’histoire :

-           le héros : celui qui vit l’histoire et qui est toujours à la recherche de l’objet de sa quête. Ce héros peut être la fille magique comme le premier roi, celui qui a bravé tous les obstacles pour retrouver la femme qu’il aime. Ces deux héros sont les sujets de l’histoire, chacun de son côté se voit attribué une quête (objet) :

  • la fille envoyée par la mère (l’initiatrice ou destinatrice) amener le déjeuner à son père le chasseur, mais qui veut l’épouser dés qu’elle fait son apparition devant lui, ne sachant qu’il s’agit de sa fille, une fille finalement engendrée par la mère seulement, la semence du mâle n’y intervenant pas, et en le fuyant, elle déclenche l’histoire du conte.
  • le premier roi, car à cause de l’agissement de son épouse (l’initiatrice) et également le nœud de l’histoire, causant la fuite de la fille cachée, ce qui déclenche également le voyage du héros et la quête chevaleresque pour atteindre l’objet du désir qu’est la fille magique. Il est également le destinataire, celui à qui va profiter la quête.

-    le donateur : qui a ce que le héros cherche. Ici, nous pouvons citer la mère de la fille,

-    l’adjuvant ou l’auxiliaire: qui aide les héros :

  • (perdrix, le petit moineau, le roseau, les chameaux  et chamelles, le berger, le garde, le travailleur du roi, le valet : valet du roi, la bague, le cheval, l’oiseau, l’aisselle, la négresse, les administrés du premier roi et sans le savoir deviennent ceux du premier roi.

-          l’opposant ou l’adversaire qui fait obstacle face à l’héros ou qui tend des pièges pour que le héros n’arrive pas à atteindre son objectif et l’objet de sa quête :

  •   le père de la fille qui cause la fuite de la fille, car il lui a proposé de l’épouser, et pour elle, sachant qu’il s’agit de son père, il faut partir au loin pour ne pas tomber dans le pêché et consommer l’inceste.
  • La femme du roi : femme et épouse suspectant son mari le roi de lui mentir à propos de la présence d’une personne tierce dans la chambre de l’étage supérieur, et donc par jalousie pousse à la fuite de la rivale des bras de son amoureux.
  • Le fkih : l’auteur de la lettre au roi pour qu’il parte en campagne au bord de  mer.
  • Le coq : le complice de la femme du roi, enfin sa première femme, et celui qui a retrouvé les sept clés.

 

Concernant ce volet de l’analyse qu’est la scène géographique, rares sont nos observations :

  • Lieu d’habitat de la fille avec ses parents : Est-ce une cabane, une petite ou une grande maison, bien meublée ou dénuée de tout confort ? Aucune mention n’est donnée, pas un détail qui échappe au narrateur ou à l’auteur.
  • Champs du labeur : mani icerrez… (endroit où il labourait…) : pas un détail sur la superficie, ni sur la nature du champ, ni sur les arbres qui peuvent y être si jamais ils y sont. Juste une mention des ibrain (semoule ou orge présente sur le champ).
  • Le bois du premier roi : lieu de pâturage des chameaux et chamelles du roi, lieu également où on voit de nombreux roseaux dont l’un abritant la fille.
  • L’habitation du roi : ġer taddart inu (‘chez lui’), où l’on sait qu’il y a une chambre au premier étage où sera transportée la fille dans le fameux roseau au début, et où fut cachée la fille des regards de l’épouse du roi, une chambre qui tout de même est située derrière sept portes.
  • La côte : lieu où l’épouse du roi va envoyer son mari le roi afin de découvrir ce qui se tramait derrière elle au premier étage.
  • L’entrée de la maison imi n-taddart (‘l’entrée de la maison)’ : celle du roi, pas de description non plus.
  • Lieu où est présent le fumier : lieu donc où seront enterrées les sept clés, ceci dénote la présence du bétail et certainement d’une écurie puisque le roi va enfourcher son cheval pour le voyage vers la mer, et déjà un coq cité dans le corps du texte,
  • Tours Jaunes : lieu lointain que désigna la fille, en fuite de la jalousie de la femme du roi,
  • La source : celle des Tours Jaunes, où la négresse vient puiser de l’eau,
  • Pièce de l’étage supérieur : où sera transporté le premier roi dans le fameux ahser (‘natte’) pour être caché des regards, surtout du regard de l’époux de la fille-femme, et donc le deuxième roi,
  • Une pièce, enfin une autre pièce où la femme ramène un sabre, objet adjuvant qui saura libérer la femme, objet de la quête, du mariage au deuxième roi et donc agent du retour de celle-ci à son amoureux, le premier roi.

 

L’époque où le conte est situé n’est guère mentionnée, ni encore celui du temps de la narration du conteur. Rien dans le texte ne trahit l’époque qui accentue finalement le côté merveilleux du conte, le conte étant dans ce sens utile à tous les temps et à tous les lieux.

Quant à l’action : le conte relate les fuites de la fille magique, une fois de son père qui voulait l’épouser et une fois de la jalousie de la femme du premier roi. Le conte raconte également les pérégrinations du premier roi, qui est le héros. Tous les obstacles rencontrés en cours de route par nos deux héros, chose qui ne fera que tenir en haleine leur amour qui les mettra face à plusieurs épreuves.

Revenant un peu à la thématique du conte : au sens large, le thème qui est traité est le pêché de l’inceste, la jeune fille fuyant son père de peur de la relation incestueuse, sachant qu’il comptait se marier avec elle, lui ne sachant que la fille fut conçue dans l’orteil de sa femme.

Au sens plus précis, il est question de l’amour, le vrai qui vient à bout de tout. Nos deux héros sont passés par plusieurs épreuves. Il a fallu qu’ils se cherchent pour se retrouver. C’est aussi le thème de l’amour mérité, si le roi n’était pas curieux de savoir ce qui parlait dans son bois, il n’aurait jamais pu rencontrer la fille magique.

S’il ne l’avait pas caché des regards, cela n’aurait jamais attisé la curiosité et par la suite la jalousie de sa femme.

Si la fille-femme n’a pas laissé sa bague, le roi ne l’aurait jamais retrouvée, et donc n’aurait jamais mérité l’amour de la belle.

Maintenant que nous avons fait le tour du volet thématique du conte, nous pourrons passer à la technique d’usage dans ce texte. Le conte, comme relevant de la tradition orale amazighe, n’a pas forcément été changé ou augmenté par l’auteur dans ce passage à l’écrit. Nous pensons que l’auteur n’a fait que transcrire le conte comme il lui a été annoncé lors de sa collecte et qu’il a omis d’annoncer la formule d’entrée ou peut-être que son conteur avait fait pareil avant lui.

Pourtant, l’on remarque vers la fin du conte la présence de la formule de la fin teqḍa lḥažit nnex, ur qdin yirden t-temzin (‘Notre histoire est achevée, mais le blé et l’orge ne sont point épuisés’).

L’action commence dés que le père soupçonne la présence d’une personne tierce et qui mange la septième perdrix. L’entrée en scène de la fille magique se fait lorsqu’on a compris que la septième perdrix lui est destinée, sachant déjà que le chiffre sept (7) est fatidique dans les contes merveilleux et populaires.

Et à proprement parler, l’action commence dés lors qu’elle est allée porter à manger à son père, celui-ci ne pouvant savoir que la fille serait sienne, il la demande en mariage. Sa fuite enfin déclenche l’action. Le paragraphe 5 condensé (au fait il est une compilation de trois paragraphes 98, 99 et 100) nous tient en haleine. On est face à un suspens. Que va-t-il advenir de la fille maintenant que le roseau se fait couper en petits bouts ? Le summum de l’action est sans nul doute deux moments :

Le premier est quand le premier roi est du retour de son voyage à la mer, voyage en fausse alerte préparé par son épouse et ne trouvant plus la fille magique dans la chambre sise derrière les sept portes, Ce moment est fatidique car porteur de sens. L’épouse transgresse l’interdit en se servant du coq pour découvrir l’énigme et le secret jalousement gardé par le roi. (Paragraphe 105).

Le second moment vient au paragraphe 106. En effet, quand le roi soupçonne la manigance de sa jalouse d’épouse, il la tue et le coq avec. Voilà une entrave au bonheur du roi écartée.

Ce moment-là porte en lui une incitation à l’action ultérieure. Le symbole de la bague magique, cet adjuvant, suscitera plus de suspens encore. L’action s’accentuera encore. La fameuse phrase prononcée par la fille magique : ‘qui m’aime n’a qu’à me suivre aux Tours Jaunes’.

Ces Tours Jaunes représentent une autre épreuve pour le roi pour gagner l’amour et l’admiration de la fille.

Les adjuvants se font nombreux à ce moment de l’histoire. Muni de la bague magique, et de son cheval cet autre adjuvant, la suite dans l’histoire nous en dira en quoi, le héros rencontre un autre auxiliaire, c’est-à-dire l’oiseau qui le transportera et le rapprochera de son amour.

En chemin, un autre adjuvant, cette fois, il s’agit de la négresse des Tours Jaunes, entre en jeu. Elle ramènera le héros jusque chez sa bien-aimée.

Les retrouvailles sont faites enfin. Mais surgit  un autre adversaire, cette fois c’est le dernier. C’est le propriétaire des Tours Jaunes, ce vieux roi et également époux de la fille.

L’action sera dénouée enfin quand le premier roi arrive aux Tours Jaunes et qu’il tuera le deuxième roi qui est le symbole du rival et de l’élément qui pourrait entraver l’obtention de la récompense du héros à savoir pouvoir jouir enfin de consacrer son amour.

Notre histoire racontée, sa raison s’explique. Une morale est à en tirer. D’abord, un bébé ne peut être conçu par un parent à lui seul, sinon, il est judicieux d’en parler en couple. Car l’autre parent, étant induit en erreur, peut déclencher une relation incestueuse. Comportement  à bannir dans la société.

Une autre morale est véhiculée par le conte. Il est question de l’amour mérité. L’amour n’est vrai que lorsqu’il résiste à plusieurs épreuves et aux aléas du temps. L’amour se fait fort et gagne sa raison d’être.

Adressé aux enfants lors des veillées nocturnes, le conteur fait usage d’un style simple, sans toutefois tomber dans la platitude. Les mots sont choisis, soignés.

Les termes comme ikker (95 & 96 & 100 & 101 & 106 & 107), traḥ (97 & 98 & 104 & 105 & 110), tekker (97 & 104 & 105 & 107), iraḥ (101 & 105 & 106 & 107 & 109), tebbit… (100), yawi-t, … yasi-t, yasi-t, …yawi-t (102 & 103), yasi… yawi…. (107), yasi (108), etc.… les termes également comme iwa…, allud…’ ou ‘llud… constituent les chevilles du texte narratif et deviennent nécessaires pour la continuité du déroulement des événements allant en s’accentuant. Le texte du conte est par excellence narratif, ce qui nous amène à dire que les phrases sont précises, ciblées, courtes contrairement au texte descriptif où les phrases sont longues et où le détail est roi. Ici, ce sont les verbes exprimant l’action qui l’emportent sur le reste.

Le conte est dit dans une langue et une musique prosaïque très fluide afin d’en faciliter l’écoute. Toutes ces techniques sont bonnes pour capter l’attention de l’auditoire et de l’assistance (quand il est raconté aux enfants) et au lecteur potentiel comme notre cas.

Somme toute, ce conte des lbruj iwraġn objet de notre analyse, se rattache au répertoire de la littérature orale amazighe. Mais l’on ne peut parler de l’apport de l’auteur ici car le conte en question est rapporté du répertoire commun des amazighes et il relève donc de l’héritage commun.

Aïcha OUZINE

 

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Tazizaout et Baddou: Note de recherche sur des hauts lieux de la résistance amazighe

Posté par Michael Peyron le 3 janvier 2012

 

 TAZIZAOUT ET BADDOU : NOTE DE RECHERCHE SUR DES HAUTS LIEUX DE LA RÉSISTANCE AMAZIGHE, HAUT ATLAS MAROCAIN (1932-1933) 

Michael PEYRON 

Introduction 

Il s’agit ci-après de signaler les grandes lignes d’un travail en cours ayant déjà donné lieu à quelques publications(1), sur deux des sites de résistance les plus prestigieux des Imazighen du Haut Atlas oriental : le Jbel Tazizaout et le Jbel Baddou (1932-33). Lors des dernière campagnes de l’Atlas marocain, ultime étape d’une guerre qui durait depuis près de trente ans, de nombreux combattants de la montagne ont trouvé la mort en défendant leur sol natal. Alors qu’après l’indépendance du Maroc ces faits ont été longtemps occultés. Cependant, depuis la fondation de l’IRCAM, une oeuvre méritoire de mémoire a été enfin entreprise. 

Par l’âpreté et la durée des combats, ainsi que du fait des moyens militaires mis en oeuvre par l’envahisseur, ces deux batailles méritent une place à part. Dans chaque cas, l’effectif de plusieurs bataillons, relevant de divers commandements, fut mis en ligne, épaulés par des armes automatiques, l’artillerie, l’aviation, voire des blindés. Face à eux les imžuhad, avec des moyens dérisoires, terrés dans des grottes ou des tranchées, armés de leurs seuls fusils et d’un courage inébranlable, tenaillés par la faim et la soif, subissaient des bombardements, disputaient chaque mètre de terrain. S’ils ont été abordés ensemble, c’est que la destinée de ces deux sites est liée ; en effet, un certain nombre de résistants qui avaient rompu l’encerclement du Tazizaout, réfugiés chez les Ayt Hadiddou, avaient dû finalement se replier sur le Baddou. Unies dans la gloire, ces deux montagnes sont pourtant bien dissemblables. Le Tazizaout, lui, est une ride de plus dans cet océan de vagues figées que constitue le Haut Atlas oriental marocain. Pas une bien grande montagne ; simplement une longue arête rocheuse aux flancs drapés de cèdres, de chênes-verts, clairement visible à l’horizon par beau temps depuis Azaghar Fal. Malgré une altitude modeste (2 767m) l’hiver elle était régulièrement ourlée de neige. Ses forêts étaient hantées de singes sur lesquels les panthères de passage opéraient de périodiques prélèvements. « La verte »(2), (tazizawt) tel était le nom que lui donnaient les Imazighen de la région. Une réputation de bout du monde, de lieu austère aux sources rares se rattachait à cette zone frontière, point de rencontre entre d’importants groupements berbères de haut mont : Ayt Yahya, Ayt Hadiddou, et Ayt Sokhman. Sidi ‘Ali Amhaouch, grand thaumaturge de la fin du XIXe siècle séjourna, lors d’une de ses tournées dans le haut pays, au hameau de Tafza au pied du Tazizaout. Lieu bucolique, propice à la contemplation, avec ses pieds de vigne sauvage, ses pruniers et buissons de mûres, ses deux sources : l’une d’eau douce, l’autre saumâtre. Sidi ‘Ali a dû en ramener une impression de nature indomptée : enchevêtrement de crêtes boisées, broussailleuses ; de pentes abruptes, de ravins tortueux et de torrents fougueux, qui en feraient un refuge parfait en cas d’urgence absolue. Une de ces prophéties apocalyptiques dont il avait le secret prenait forme dans l’esprit de Sidi ‘Ali et prédisait que Tafza serait l’ultime réduit contre lequel viendraient buter en vain les colonnes françaises. Prophétie reprise à son compte après sa mort par son fils ainé Sidi Lmekki. Qui résistera plus d’un mois (mi-août/mi- septembre 1932), à la tête d’un millier de combattants, contre deux Groupes Mobiles de l’armée française. 

Le Jbel Baddou, où se déroulera l’ultime épisode de l’épopée de la résistance de l’Atlas, est une haute montagne (2 921m) isolée et escarpée, surgissant d’un seul élan au-dessus d’Asoul dans le Haut Ghéris. Avec ses flancs décharnés où ne s’accrochent que quelques genévriers rabougris, ses rares sources, c’est un lieu aride et désolé. Visible de très loin, couvert de neige trois mois par an, c’est un emplacement stratégique important qui domine tous les passages entre les pays Ayt Merghad et Ayt Hadiddou, groupements voisins, membres de la confédération Ayt Yafelman, mais qu’opposaient pourtant de périodiques et fratricides combats ; lorsque sonna l’heure de la résistance à l’envahisseur, toutefois, ils avaient su s’unir. Avec leurs troupeaux et leurs familles quelques centaines d’Ayt Merghad et d’Ayt Hadiddou s’y étaient retranchés à la fin juillet 1933. Un terrain truffé de grottes, et de barres rocheuses offre une infinité de possibilités défensives, dont la dernière poignée de résistants sous Zayd ou-Skounti et ‘Ali ou-Termoun avait su tirer parti. Comme au Tazizaout, le Baddou jouissait d’une réputation légendaire : la mule du Prophète Mahomet était censée y être passée3. Étant donné la sainteté du lieu, comment Dieu permettrait-il aux incroyants d’y prendre pied ? Finalement, comme au Tazizaout, l’encerclement de leur bastion montagneux par les forces ennemies, en empêchant l’arrivée du ravitaillement, eut raison de l’opiniâtreté des défenseurs qui souffrirent davantage de faim et de soif que de la violence des seuls bombardements. 

Sorties au Tazizaout 

 

L’auteur de ces lignes a effectué trois sorties sur le terrain. La première, mandatée par l’IRCAM, se déroula du 18 au 25/08/2005 en compagnie de Houssa Yakobi, lui-même membre de l’IRCAM et originaire des Ayt Ouirra de Ksiba, ainsi que de son épouse Michèle. Il s’agissait de visiter les principaux sites du Tazizaout et d’obtenir des comptes-rendus oraux auprès des vétérans et leurs proches concernant le déroulement des combats. La deuxième sortie : effectuée du 21 au 24/05/2006, en compagnie de Houssa et Karim Yakobi, Assou et Khadija Lhatoute de Midelt. Cette boucle au départ d’Ikasen devait nous permettre : 1) de glaner de plus amples informations concernant les mouvements de Sidi Lmekki pendant la bataille de Tazizaout ; 2) d’élucider de nombreuses erreurs toponymiques apparues suite à la comparaison entre la version écrite du général Guillaume et les comptes-rendus oraux des vétérans et de leurs proches après repérage sur le terrain; 3) d’obtenir d’autres précisions quant aux déroulements des combats ; 4) de recueillir un complément de poésie orale. La troisième sortie 20 au 24/05/2007, en compagnie de Michel Morgenthaler, en traversée sud-ouest/nord-est (Imilchil-Tounfit) du massif, nous mena de nouveau pour une prière – toutes confessions confondues – au cèdre sacré du Tazizaout, puis à Agheddou et à Assaka. 

Observations sur le terrain  

 

Nous avons observé, tout d’abord, à la limite ouest du dispositif défensif du Tazizaout, le ravin escarpé d’Aqqa n-Tkouchtamt avec ses buissons de buis, dominé par de falaises parcourues de vires ayant servi d’emplacements de tir aux résistants4. Dans l’Aqqa n-Mesfergh nous avons examine plusieurs vestiges d’emplacements de combat enterrés, orientés dans le sens du ravin, de façon à ne pas s’exposer aux tirs de mitrailleuses de la crête de Tazra au nord, au cas où l’un des défenseurs allumerait une bougie la nuit. Là où le ravin s’élargit nous avons repéré plusieurs grands chênes, tisuffa n-sidi lmekki ; c’est là que Sidi Lmekki aurait installé son campement après avoir quitté Tafza (5). Nous avons noté la présence près de Tafza, rive gauche de l’Aqqa n-Zobzbat (nom actuel Aqqa n-Widammen 6), au milieu d’un massif de buis, d’un cimetière de tombes en bois. Ce fut alors l’occasion de prononcer une prière pour le repos des imžuhad

Ayant suivi une sente forestière depuis le haut Aqqa n-Zobzbat, nous débouchons au Tizi n-Bou Igheliasn, où nous avons trouvé un étui de cartouche, provenant probablement d’un mousqueton. Devant nous se dresse le sommet escarpé de Taoujjaâout, site emblématique et théâtre de combats acharnés, dominant l’Aqqa n-Zourkhelad, où se situaient de nombreux campements d’insoumis d’après Guillaume qui lui décerne le nom d’Aqqa n-Tefza (7).   Il nous a été intéressant de recueillir de la bouche du poète amateur Ou-Ben ‘Ali quelques précisions quant à certains héros du Tazizaout : Baqqour, et ‘Ali Belhacene étaient originaires des Ayt Hnini ; Mohammed ou-Talb, Bassou ou-Hssein, et Moha Ouanzzour, venaient tous du village d’Agheddou (Ayt ‘Ameur, Ayt Hadiddou). ‘Ali ou Ikhelf et Bennaser Lhou (le dernier de Tit n-Blal), étaient des Ayt Sokhman. Quant à la poétesse Taoukhettalt, elle serait des Ayt ‘Abdi (Tizi n-Isly). Épouse d’un montagnard aisé, elle avait don sans compter de ses bêtes aux imžuhad et avait tout perdu après Tazizaout. Sidi ben Hmad, le šrif de Tilmi (Ayt Hadiddou) à qui l’on prêtait souvent le nom d’Ou-Sidi Bel-Hajj: ses contingents ne sont pas intervenus directement dans les combats, bien qu’il eût mené une diversion importante sur le Plateau des Lacs. 

Lahcen Ahaqqar (Ichqern) se battait aux côtés de Sidi Mhand Lmehdi. Il fut amené à « repartir en dissidence » comme on disait alors, après avoir été spolié par un mokhazeni autoritaire et profiteur quelque part en Moulouya8. Ce fut vraisemblablement lui qui captura une mitrailleuse lors de la contre-attaque nocturne réussie du 6-7 septembre, 1933, contre une position occupée par des partisans et tirailleurs au « Piton des Cèdres ». Arme dont il fit bon usage depuis un emplacement sous l’actuel cimetière jouxtant des abris de pèlerins, battant de ses feux un versant entier, dont le nom perpétue de nos jours son exploit : Tassameurt n-Ou Haqqar. Une certaine confusion entoure la façon dont furent tués les deux marabouts guerriers Sidi Mhand Lmehdi et Sidi Lmurtada, frères de Sidi Lmekki. Lmehdi aurait été abattu d’une balle de fusil Lebel en combattant des partisans, goumiers et légionnaires au col entre le « Piton des Cèdres » et la crête du Tazizaout (9). Quant à son frère, Sidi Lmurtada il serait mort par bombe d’avion après s’être replié sur son campement près de la source (taġbalut n-tzizawt), par ce que ses proches lui avaient fait remarquer qu’il était trop exposé sur la crête près du grand cèdre (10). Selon une version complémentaire, Sidi Lmurtada à été d’abord blessé par balle à l’épaule et à la hanche, puis ramené à son campement pour y être soigné, pour être finalement tué par l’explosion d’un obus (11). Détail navrant, enfin, comme comble du déshonneur, après la reddition il y eut ah’idus n-wiha, la danse du malheur, exécutée par les femmes dans Aqqa n-Ouchlou (12). 

Sorties au Baddou  

 

Nos investigations au Baddou sont bien moins avancées, en dépit de trois tentatives en janvier 2007, janvier et mars 2008. La première nous a permis de pousser une reconnaissance depuis Tiydrine n-Ayt Merghad vers Itto Fezzou et le Tizi n-Hamdoun, le dernier sous la neige (à l’ouest du Baddou), mais du fait du froid et de l’absence d’habitants nous n’avons rien recueilli sur le plan de l’oralité. À Amellago, en revanche, gros village Ayt Merghad excentrée par rapport au massif, nous avons glané quelques informations intéressantes. Mais, de toutes façons, soit la montagne était trop enneigée, soit mes compagnons manquaient d’ardeur pour gravir les hauteurs. Il apparaît qu’une date vers la fin du printemps s’avérerait plus propice. L’absence d’un gîte valable au pied du versant nord, base de départ indispensable pour rayonner dans le massif, constitue un handicap supplémentaire, la mélancolique bourgade administrative d’Assoul n’offrant que peu de ressources. 

Une sortie sur le terrain, depuis Aghbalou Kerrouch sur la rive droite du Haut Ghéris en amont d’Assoul, nous mena sur deux anciens sites de campements militaires de 1933 dominant le ravin d’Aqqa Bou Ikzine Leur rôle consistait à bloquer les abords nord du Baddou de façon à empêcher toute tentative de fuite de résistants vers le massif voisin du Jbel Youb. Le premier camp qui pouvait loger une soixantaine d’hommes, probablement des Tirailleurs, comporte un mur extérieur et un mur intérieur, mais aucun débris de verre. Détail important. L’autre site comprend deux enceintes fermées par une murette de pierres sèches et des ronds de pierres pour des tentes, ainsi que des emplacements plus conséquents, ayant sans doute abrité des obusiers de 155m/m, ainsi que des mitrailleuses Hotchkiss. Le site est tout à fait reconnaissable d’après des photos d’époque dans le livre du reporter britannique Ward Price13. Comme vestiges, de nombreux débris de verre provenant de deux sortes de bouteilles (bière et/ou vin) – marque de la Légion – ainsi que des boîtes de conserves écrasées pouvant avoir contenu du « singe » (14). Hormis quelques fragments d’oralité, c’est là tout ce que nous avons ramené du Baddou. 

Corpus de la région du Tazizaout  

 

1) itgil ugwerram n-tzizawt (Le cèdre sacré du Tazizaout) 

itgil nnag illan i leεmud, da digs tżallan midden žemuεa.  

iqqur allig ur-iqqim ġas yiwn ušbud.

ih’yu-t rebbi allig azizaw (zzi h’iya lmalik !) aynnag illan, annayġ-t !

 

Les pèlerins se réunissaient pour prier à côté d’un cèdre là sur la pente. 

Puis l’arbre devint squelettique ; il ne restait plus qu’un moignon. 

Le Seigneur l’a ressuscité, l’arbre a reverdi (à l’époque de l’indépendance). 

Cela est stricte vérité, j’en ai été témoin (15)! 

 

Fragment de tamdyazt 

 

2) tεeqqelġ-am, a tazizawt, am lgirra,  

3) hat-in tεawžεutt ur-sar tbalid,  

4) žemmeε leqbel d-uzaġar allig nn  

5) yan inniġ-am iεqba s-ugari,  

6) ššarr iġsan n-irumin d wi  

7) lmužahidin amm idwan ggwašal !  

 

De toi me souviens, Ô Tazizaout, comme d’une guerre, Assurément Taoujjâaout jamais vieille ne deviendra, 

Ceux de la plaine et de l’Orient contre nous se sont Ligués, avec des armes perfectionnées nous ont poursuivis, 

Les ossements des Chrétiens sont avec ceux des combattants 

Musulmans entremêlés tels des pierres jonchant le sol (16)! 

 

8) a wa lixra, tella awd žaž n-txamin, (tamawayt taqdimt)  

9) yuf mš inġan iżiyyan, a sidi εli ġurš!  

Si je dois par les Zaïans me faire trucider parmi les campements, 

M’est préférable de tomber à tes côtés, ô Sidi ‘Ali Amhaouch ! 

 

10) meqqar xelfen waman d-tuya, xelfen awd igran, a mulay (tamawayt)  

11) h’mad, ur riġ annaley zirš, ixeşş-aš lmehdi d-tsaεya-nnes!  

Même si revivent eaux, herbage et champs, Ô Moulay Ahmed, 

Vers toi monter je ne puis, car me manquent Lmehdi et son Lebel (17)! 

 

12) ay ayt, ay ayt, ur kwni d-ismun s-aynna išerð ġifun, (ahellel)  

13) adday d-iddu wrumi d-idišl ak-tilim!  

Ô gens des tribus, le premier venu ne le suivez point, 

Lorsque viendra le Chrétien, à Idikel vous vous regrouperez ! 

 

14) annayx afiwn xf tužžut εelm llah (ahellel)  

15) ayyur ay tetššan ist sidi εli!  

 

Des feux sur le Toujjit ayant aperçu, en ce mois ai su que Dieu M’apprenait que par le danger les filles de Sidi ‘Ali étaient menacées ! 

 

16) ay uššen n-wanargi, a wi n-muriq, aggat ġer (ahellel)  

17) tefza, a-tinnim aferran nna digs illan!  

Ô chacal d’Anergui, et toi son compère du Mouriq, allez surplomber 

Tafza, du brasier qui l’enflamme y serez témoins (18)! 

 

18) ay ayt iqšmirn kku-d awn-qqarx iteqqarn, (tamawayt)  

19) imswa bu-llama day-i-tennit !  

Ô gens des falaises, vous répondez à chacun de mes appels, Sage la parole de l’homme au regard perçant (19)! 

Fragment de tamdyazt sur le Tazizaout 

 

20) tšix tiġeddiwin d wabu, tšix lfula,  

21) ur-diyi th’adert, ay ul!  

22) a ta, xes ssemarq aman ur-iyin ša nsay-is!  

 

De carde et férule me suis-je nourri, ainsi que d’haricots sauvages, Pour supporter tout cela n’ai plus le coeur !     

D’eau saumâtre me suis contenté, le ventre vide me suis couché ! 

 

23) nššay ixf i-wh’diddu, nššay-as tazeţţat,  

24) ššix-am ixf, a tmazirt nna wr-issin!  

 

Aculé, chez l’Ou-Hediddou m’en vais, à sa protection m’en remets, 

C’est dans un pays inconnu que je pénètre ! 

 

25) ay aεri, ay aεri nn wadda ur-ikkin ġur ssuq,  

26) ikka yan usiyh’ri nnig-i, iţţef-aġ tanfiðin!  

 

Combien chanceux qui au souk ne s’est point rendu; 

Un avion nous ayant survolé, de bombes nous a arrosés! 

 

27) ikker yan bu zzit ad-irwel, išedd-as uðar,  

28) inġel ġifs uydid, iqqim ar-iðżemma !  

 

Un marchand d’huile dans la fuite le salut chercha, mais glissa, 

Sur lui l’outre se déversa, jusqu’à la dernière goutte l’essora ! 

 

29) ikker yan bu wattay, inġel ġifs lhenna,  

30) a lwali-nu, a wa, llig ur-tekkat ša!  

31) tadžt bunadm, ad-iddu zzik ad-ur-t itfur lεar!  

 

Sur le marchand de thé se déversa le henné ; 

À quoi bon, père, puisque de te défendre tu es incapable! 

Laisse les gens de bonne heure partir, que la honte les épargne ! 

 

32) llulan iširran meżżin, h’adern i ti n-dzizawt yan išiban,  

33) a wayd imun s-aytmas. in-as y-iziyyan: tšat timizar!  

34) ku yass asekkin ad-ilin i ssuq ġas wenn-asen yudern ddaw tlibit!  

 

Des enfants sont nés, l’un eux – un ancien – a assisté aux combats de Tazizaout ; 

Puissé-je mes proches acompagner . Dis aux Zaïans : « Dans les contrées sévissez! » 

Chacun au marché peut tout trouver, sauf celui qui gît sous le gazon (20)! 

 

Corpus de la région du Baddou  

 

35) ih’ars-aġ baððu yuwey-aġ aman, (izli)  

36) da-ţeşşa leġlubit-inw iselli !  

 

C’est le Baddou qui d’eau m’a privé, 

Jusqu’aux cailloux qui de moi se moquaient! 

 

37) anawiġ izreg anawiġ tuga mek-aġ- (izli)  

38) iqadda weġżaż nselmi akal ula ddellt urumi !  

 

 De plantes ou herbes me contenterais si faisait défaut le grain des Musulmans ; /

Manger la terre m’est préférable à la domination du Chrétien ! 

 

39) tenna-yaġ nnan ayt h’liddu agg-žran, (izli)  

40) mah’edd asif mellul ur-ihenna !  

S’est produit ce qu’avaient prévu les Ayt Hadiddou, 

Même l’Asif Melloul n’est plus un refuge sûr ! 

 

41) inn-ak bab n-wayyad ur-da-yi-tekkan imnayn, (izli)  

42) uεreġ ay aneždi bu-tsurift !  

 

Le Bab n-Ouayyad te dit : « Aucun cavalier ne peut me Franchir,

Suis difficile même pour le fantassin courageux ! » 

 

43) a hay, a wa, šuf ayd-ssalin ibennawn, (izli)  

44) a hay, a wa, iggall rebbi lebruž rruyen !  

 

Regarde donc ce qu’ont bâti les maçons, 

Dieu a juré de réduire tout cela en ruines ! 

 

45) mer ssineġ idd ad-anġ-issikl, (izli)  

46) is ddiġ s-εari n-baððu wr-nttehwu !  

 

Si j’avais pensé que j’allais être fait prisonnier, 

Aurais rejoins le Baddou, pour y monter bonne garde ! 

 

47) a tislit n-baððu, maxf ur-temmud? (aferradi)  

O fiancée du Baddou, pourquoi n’as-tu pas trépassée (21)? 

 

48) ur-illi wmala y tuga n-wasif (izli)  

49) ar-ittazzla bu meεz ar εari!

 

Tazizaout et Baddou Absent l’herbage ombragé en bordure de torrent, 

C’est vers les hauteurs que s’enfuit le chevrier ! 

 

50) adday ššaran itbirn awġn imendi g wanrar (izli)  

51) ar-isexsarr wi n-εari wi n-iġrem ad-itsmun!  

 

Lorsque s’assemblent les ramiers à picorer grain sur l’aire, 

Celui des monts entraîne celui du bourg (22)! 

 

Fragment de tamdyazt sur l’après-Baddou 

 

52) ay inselmen d-irumin adday tennaġn  

53) išqa lh’al n ku yan ira ad irru wayð!  

 

Lorsque s’affrontent Musulmans et Chrétiens, sont 

Durs les combats, chacun voulant l’autre terrasser ! 

 

54) yaġ-i lεar mš id ul-inw asenðah  

55) ssif ay id ihuzzen zarš, ay afa!  

 

Pénible en mon coeur de la reddition le déshonneur, 

La lame de l’épée est vers toi levée, ô flamme !

 

56) nsul rix lžihad ur-ta-nuh’il,  

57) isul ġurx bab l-luqt asenðah!  

 

Infatigablement je désire encore guerre sainte mener, 

Le Maître de l’Heure cependant envisage de se rendre ! 

 

58) tsemmart tamelli gg-ul-inw ur-tsul!  

59) tuf-i lmutt ula derġ-awn al-ġiyyar!  

 

La bonté en mon coeur n’est plus ! 

Plutôt la mort que de l’existence le chagrin ! 

 

60) nsul rix lžihad ur-ta-neεniq,  

61) nuġul dar-t baððu ar-kkatx!  

 

Je souhaite le combat poursuivre, n’est point vain, 

Revenons derrière le Baddou, faisons le coup de feu (23)! 

 

Poésies frivoles et/ou pédagogiques (toutes régions confondues)  

 

62) tarwa l-luqt, a ššib-i (llġa)

 La jeunesse d’aujourd’hui me fait grisonner le chef !

 

63) ikka wbrid usmun aqšmir (izli)  

64) ur-ssinx magg itεşar uðar ! 

 

 Je ne sais où m’engager, car le sentier 

Que foule le pied de l’ami longe le précipice (24)! 

 

65) wenna yellan zzin iferh’ iy-as ul aynna ran (tamawayt)  

66) wenna yellan mxiba ammi da yferru lbrussi !  

 

Quiconque possède femme belle a le coeur comblé, (distique) 

Quiconque possède femme mauvaise est semblable à celui qui doit 

D’un procès s’acquitter (25)! 

 

67) εayd, a wa, ula ma ġif tiwit azal! (llġa)  

Reviens auprès de moi, ne t’expose point au démon de midi ! 

 

68) ullah, a mr lliġ ixf ur-sar tiţşşaġ, zzεent-i d šraţ mixibbin : (izli)  

69) hat awsser, ha lixra, tager žihennam, mš-i-tumż g winna yiġ !  

Si j’étais sensé, ne sourirais plus. Me traquent trois maux : 

 

Vieillesse et Au-Delà, vous voilà, mais point n’est pire 

Que l’enfer si pour les forfaits que j’ai commis il me châtie (26)!   

 

70) inn-aš ugerru mayd iggan adday iwet umetna? (izli)  

71) aman as-tekkat hay-i žaž n-widdx itteddun!  

 

Ainsi parle grenouille : « Qu’ai-je à faire des ces ondées ? 

Ne sont que pluie ! Or le domaine liquide, déjà j’y suis ! » 

 

72) mr-idd ižmuεen ur-telli ddunit tawuri  

73) lumur ddex asuffen ayt tudert ayt issenðal!  

 

Ah, si ce n’étaient les rencontres ici-bas !

C’est grâce à Cela que les vivants sont meilleurs que les morts ! 

 

74) ur-illi u-lh’amm užaž mš irża iddu,  

75) ula day-iţessa leεqqel nnay iġiyer ša !  

 

Véhicule cassé point ne repart ; c’est 

Ainsi que personne vexée le rire ignore! 

 

76) ay amsafer, mani tamazirt nn-aš-ira wul?  

77) idd εin luh’, idd immuzzar ma tiġessalin ?  

 

Ô voyageur, vers quel pays te mène ton coeur ? 

Vers Aïn Leuh, Immouzzer, ou Tighessaline ? 

 

78) nnan rezzaq abda d-lmižžal ur-sar din, (izli aferradi)  

79) dġi ha rezzaq ismar, lmižžal ur-ta ismir!  

 

On dit que les moyens de subsistance qui te reviennent sont selon ta 

Durée de vie, or richesse s’épuise alors que se poursuit la vie (27)! 

 

80) a tawgrat n-ult εisa allig wadda wr-ssinx  

81) ur-da-ssental midden nna wr-ittubda i-temara!  

 

O Taougrat des Ayt Ayssa, jusqu’à preuve du contraire, 

Sont cachottiers les gens auprès de celui qui la misère ne connaît point (28)! 

 

82) inn-aš sidi ububker, šuf rebbi, šuf aya d ixleq,  

83) raεa ţţir, may-t yulan, allig iqqiman, ur-isseni-d, ur-iskita !  

 

Sidi Bou Bker te dit : « Observe Dieu, observe cette créature, 

Vois cet oiseau, comment vole-t-il sans aide. Ne se repose ni ne tombe ! » 

 

84) awal n-ububker  inn-aš: ih’ey h’edd yan uryaz at-ineġ.  

inn-as ububšer: amur-nš at-qad-ineġ uryaz-a!  

tfeġġ leεmart lkerbus. immet waddax n-ih’eyn aryaz  

ġer sidi ububšer, immut y-imi l-lbab!  

 

A ce qu’on dit un homme se faufilait pour en tuer un autre. 

Sidi Bou Bekr lui dit : « La protection sur celui que tu vas abattre ! » 

La cartouche sortit du fusil mais atteignit alors l’assassin en herbe ; 

Auprès de Sidi Bou Bekr s’effondra, sur le pas de la porte (29)! 

 

85) a tawtat n-ayt dεud u-εezzi

86) ay tnseġ a-tšettabt i-wġyul!  

Ô noir pompon du capuchon d’Ayt Daoud ou-Azzi, 

Je savais que tu étais destiné à être par un âne mangé (30)! 

 

Conclusion 

Voilà donc deux montagnes emblématiques, deux épopées exemplaires de la résistance marocaine de haut mont, officiellement occultées jusqu’à tout dernièrement, mais hantant malgré tout l’inconscient collectif des populations riveraines, tout en affichant, à ce que l’on a vu, certaines différences sur le plan de la géographie physique. Par ailleurs, si nous avons exposé les résultats de recherches approfondies en ce qui concerne le Tazizaout, le dossier Baddou, quant à lui, notamment en matière de collecte sur le terrain, relève quelque peu de l’inachevé. Raison pour laquelle il convient d’envisager cette note de recherche en tant que document provisoire, en attendant de conclure le programme d’ensemble envisagé. NOTES

 

1 Cf. tamdyazt xef tzizawt in A. Roux & M. Peyron, Poésies berbères de l’époque héroïque, Maroc central (1908-1932), Aix-en-Provence, Édisud, 2002 (pp. 194-200) ; M. Peyron, « le Tazizaout d’après les comptes-rendus des militaires français de l’époque (1932) et dans l’inconscient collectif », Colloque « Sites de mémoire et tradition orale amazighe », (M. Peyron, éd.), Ifrane, Al-Khawayn Press, 2007 : 34-43 ; M. Peyron, « Oralité et résistance : dits poétiques et non poétiques ayant pour thème le siège du Tazizaout (Haut Atlas marocain, 1932) », Études & Documents Berbères, 25-26, 2007 : 307-316.  

2 Une autre version attribuerait le nom à la couleur verte du turban darqaoui, secte à laquelle étaient rattachés Sidi ‘Ali Amhaouch et sa descendance.  

3 Cf. G. Ward Price, In Morocco with the Legion, London, Jarrolds, 1934 (p. 159).   4 D’après Moha ou Moh Idrissi, Ikasen, le 21/05/2006. 

5 Ou-Ben-Ali (Bou Imtel, Ayt Sokhman) nous expliqua qu’avant de se réfugier dans l’Aqqa n-Ouchlou, Sidi Lmekki avait campé peu de temps dans un ravin rive droite, de l’Aqqa n-Widammen appelé Aqqa n’Ali ou Zaïd, le 21/05/2006. Confirmé par Haddou ou Hammou de Tafza, le 21/05/2007. 6 Le nom de l’Aqqa n-Zobzbat a été changé par souci de rendre hommage aux morts, car, après le massacre des résistants, le ruisseau aurait coulé rouge, d’où le nom actuel : « Ravin de Sang » (aqqa n-widammen). 

7 Cf. A. Guillaume, Les Berbères marocains et la pacification de l’Atlas central, Paris, Julliard, 1946 (p. 364).  

8 Selon Hmad ou-Ali, Ikasen, le 25/08/2005. 9 Selon Ou-Ben ‘Ali, le 21/08/2005. 

10 D’après Houssa Yakobi, le 20/08/2005. Le grand cèdre est également connu sous le nom de itgel amažžyal (= ‘cèdre du haut, supérieur’). 11 Selon Sidi Moh Azayyi, Assaka, le 23/05/2007. 

 

12 Lhajj Nasser Bouqebou, Aghbala, le 24/08/2005.  

13 Cf. G. Ward Price, op. cit., 1934. 

14 Lors de notre dernier voyage au Tazizaout en compagnie de Michel Morgenthaler, en mai 2007, nous avons trouvé des débris de verre identiques parmi les ruines d’un ancien poste de la Légion sur la crête à l’est du Tizi n-Ighil, face au Tazizaout.  

15 Sidi Moh Azayyi, Assaka, Ayt Sidi Yahya ou Youssef, le 18/08/2005. 

 

16 De la bouche de Moha ou Moh Idriss, Ikasen, le 21/05/2006. Ensemble donné comme série de timawayin, mais s’agissant sans doute d’un fragment de tamdyazt ; cf. J. Drouin 1975, Un cycle oral hagiographique dans le Moyen-Atlas marocain, Paris, Sorbonne, 1975, p.128 & M. Peyron, 2007, p. 314. 

 

17 Ce sont des timawayin récitées par Ou-Ben Ali à Taddart Tafraout n-Oumrabd, le 22/05/2006. La première, d’après les standards locaux, est une tamawayt taqdimt, morceau ancien remontant probablement à l’époque de la guerre intermittente entre Zaïan et Ayt Sokhman (1877-1909) au cours de laquelle Sidi ‘Ali Amhaouch appuyait les derniers. Il démontre clairement la vénération dont faisait l’objet le saint homme auprès de ses ouailles.  La seconde tamawayt, se référant à Sidi Mhand Lmehdi, marabout guerrier et fin tireur, situe l’action au temps du Tazizaout. 

 

18 Trois prophéties du type ahellel attribuées à sidi bubšel, un ancêtre de Sidi Lmekki ayant vécu fin-18ème/début-19ème siècle (Ikasen, soir du 23/05/2006); les deux premières, récitées par Ou-Ben ‘Ali, constituent des variantes de matériaux déjà collectés ; (cf. V. Loubignac, Parlers berbères des Zaïan et Aït Sgougou, Paris, Leroux, 1924, p. 444 ; A. Roux & M. Peyron, Poésies berbères de l’époque héroïque, pp.190 & 192); la troisième, de la bouche de Moha ou Moh Idrisi d’Ikasen (Ayt Sokhman), qui semble annoncer les déluges de feu s’abattant sur le Tazizaout, mais auquel échapperont les gens des environs d’Anergui, est apparemment inédite. 

 

19 Strophe présentée comme « dit du Tazizaout », awal n-tzizawt, par Sidi Moha Azayyi, Assaka, Ayt Sidi Yahya ou Youssef, le 23/05/2007.  

20 Demi-douzaine de strophes, recueillies le 02/01/2008 à Ourtan, par Zawit ech-Cheikh. Vers attribués à Taoukhettalt, célèbre poétesse des années 1930, et provenant sans doute d’une tamdyazt plus longue, sur l’épopée du Tazizaout. Ensemble cité de mémoire par Mouna ‘Addi, mère adoptive de Houssa Yakobi, issue de la famille de Qoujjane Ou-’azzou, célèbre résistant dont les proches sont actuellement installés à Lmizan à 1 km de Naour, route de Tizi n-Isly. On y trouve des allusions aux privations des résistants ; à la possibilité, en dernier recours, de se réfugier chez les Ayt Hadiddou ; au bombardement du souk de Tanaghmast ; à la veulerie des uns ; au sens du déshonneur qui obsède d’autres tentés par la soumission (allusion au henné, dont les femmes badigeonnaient le dos de tout poltron qui fuyait) ; aux résistants retranchés dans les abris d’Aqqa n-Ouchlou dans l’espoir de se soustraire aux Zaïans.  

21 Distiques traditionnels, izlan, des Ayt Merghad rappelant la dernière campagne du Jbel Baddou de l’été 1933. Poésies déjà notées par un poète amateur ou-Merghad, du nom d’Aomar Derouich, dit Taws, remises à l’auteur à Ifrane par un Ou-Merghad originaire de Goulmima nommé Lahcen, époux d’Ibtissama Sebti, printemps 2001. Le tout dernier vers, largement connu dans la région du Haut Gheris, qui exprime la détresse de la fiancée du Baddou dont est mort le futur époux, serait un exemple de vers isolé, aferradi.  

22 Deux morceaux récités par Hssein Qoujjane, Tiydrine n-Ayt Merghad, Haut Gheris, le 10/01/2007 ; ces vers ont pour contexte l’époque des combats du Baddou, où les résistants incitaient les ksouriens à se rallier à eux. 

23 Fragment de tamdyazt, qui nous a été récité par Moha Ou-Sri, à Amellago, Gheris, le 06/01/2008. Vers attribués à Saïd ou-Hmad ou-Tararout, ancien compagnon de Zayd Ou-Hmad, le jusqu’au-boutiste des Ayt Merghad, et datant sans doute du lendemain de la chute du Baddou (fin-1933).  

24 Distique précédé de son refrain ; Haddou Chaouch, cassette entendue à Tounfit, le 17/08/2005. 

 

25 Ou-Termoun, muqqadam d’Assaka, mari de Labha, Ayt Sidi Yahya ou Youssef, le 18/08/2005 (cf. M. Peyron, Isaffen Ghabanin/ Rivières Profondes, Casablanca, 1993). 

 

26 Il s’agit d’un izli didactique des années 1960, précédé de son refrain (llġa), de la bouche d’Ou Ben-‘Ali, poète amateur, Bou Imtel, Ayt Sokhman, le 21/08/2005.  

27 Distiques didactiques, dont les 78-79 du genre aferradi, de la bouche d’où Ben ‘Ali, Tafza, Tazizaout, le 21/05/2006 ; les vers 72-73 et 76-77, quant à eux, seraient attribuables à Ajouaou, barde de Tirghist, Ayt ‘Ammar ; les 74-75 relèvent du répertoire d’Ali Ou-Mekki de Tounfit. 

 

28 De la bouche de Haddou ou-Hammou ‘Afif, Ighrem n-Tefza, Tazizaout, le 21/05/2007 ; semblerait être une bribe de joute oratoire dont l’un des protagonistes serait ni plus ni moins Taougrat, la célèbre poétesse aveugle des Ayt Sokhman d’Aghbala (cf. Reyniers, Taougrat, ou les Berbères racontés par eux-mêmes, Paris, 1930).  

 

29 Deux « dits de Sidi Bou Bker », récités par Sidi Moha Azayyi, Assaka, Ayt Sidi Yahya ou Youssef, le 23/05/2007. 

 

30 De la bouche de Hussein Qoujjane, Tiydrine n-Ayt Merghad, Haut Ghéris, le 10/01/2007. Le poète s’adresse sur un ton moqueur à quelque Filali au teint basané.  

 

 

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