A la recherche d’un imaginaire : cas du Maroc touristique
Posté par Michael Peyron le 4 mai 2011
A la recherche d’un imaginaire : cas du Maroc touristique
Il est avéré que les touristes européens et/ou américains, avertis ou non, qui visitent le Maroc depuis une dizaine d’années, sont en quête d’un imaginaire façonné par leur propre esprit, et en fonction des représentations souvent factices dont ils se gargarisent à l’égard du pays. Aidé en cela par une certaine lecture de l’histoire, influencée depuis des lustres par un Orientalisme facile et tenace, sans parler des sites web, des médias prompts à la surenchère, de certains auteurs à la mode traitant du monde maghrébin. En fait, les gens – autant d’egos qui se trimbalent et qui veulent satisfaire leurs petites envies – se contrebalancent de la vérité, de la réalité des choses. Actuellement, on est de plus en plus en empathie envers son environnement social, voire naturel, ce qui génère un égo-centrisme forcené que l’on veut satisfaire à tout prix. Peu importe la non-vérité qui voit alors le jour, pourvu qu’il y ait ivresse des sens et de l’esprit !
Que représente la destination Maroc pour le visiteur étranger ?
L’idée qu’il se fait du pays, et en partie des monts de l’Atlas et du Grand Sud, est basée sur une mythologie (voire d’une vulgate), toute en trompe l’œil, soigneusement entretenue par les voyagistes. Imaginaire peuplé d’êtres aux contours parfois flous : le cavalier de fantasia, le nomade chamelier, l’Homme bleu, le Touarègue, le Berbère, ou Amazigh (‘homme libre’) que l’on assaisonne à toutes les sauces. Sans parler d’un petit brin de Saint-Exupéry qui flotte dans l’air, mythe de l’Aéro-Postale oblige. Curieusement, aussi, Laurence d’Arabie figure au sein de cet improbable Panthéon en tant qu’invité surprise ! Jusqu’à un hôtel marrakchi qui portera son nom. Lui qui n’a jamais mis les pieds au Maroc, si ce n’est que par Peter O’Toole interposé…
À cette overdose d’esbroufe, à ces personnages de légende s’ajoutent des espaces privilégiés : les cascades d’Ouzoud transformées en parc d’attraction ; le Toubkal (4167m) culminant et ses satellites d’un accès facile ; le puissant Mgoun aux rédibitoires pierriers qu’arpentent des norias de trekkeurs en juillet-août; le pays Ayt Bouguemmez devenu « Vallée Heureuse » avec ses gîtes dits « de charme »; les roches peintes de l’Anti-Atlas ; les somptueux paysages d’Ouarzazat, dignes d’un film à la James Bond ; les dunes de Merzouga sur lesquelles planent l’ombre de Paul Bowles, grâce au film Un thé au Sahara (alias The Sheltering Sky – in Anglish in ze texte), et où évoluent des colporteurs travestis en Sahariens soucieux de proposer bijoux touarègues et kilims berbères garantis d’origine ! Ce qui se pratique depuis belle lurette au Moussem d’Imilchil, autre évènement phare de l’année touristique. Interrogé in situ en Tamazight par nos soins, l’un de ces fameux « Touarègues » au chèche bleu a avoué venir tout simplement de Tamtettoucht sur le versant sud du Haut Atlas ! Ben voyons… Car les locaux ont vite compris que les vacanciers venaient chez eux appréhender non pas la stricte réalité, mais (histoire de nourrir leurs phantasmes) une certaine dimension légendaire du pays… Pourquoi alors ne pas en rajouter au besoin ?
C’est de bonne guerre.
Aussi, afin de mieux vivre son trip aux ambitions sahariennes, afin de se fondre dans la masse en goguette, convient-il au « Package tourist » de se déguiser en Homme bleu. Cela devient quasi-obsessionnel. Mieux, le visiteur est ouvertement encouragé à s’accoutrer ainsi. « Pour faire authentique », lui dira-t-on. Alors que cela relève du plus pur « bidon » !
Seulement voilà. Petit problème. Les dunes de Merzouga ou les replats de M’hamid, perçus comme espace saharien par excellence, sont au Diable Vauvert par rapport à la Ville Rouge. Alors, aux portes mêmes de la capitale du sud, du côté de Lalla Takerkoust, il a fallu a créer de toutes pièces un ersatz, un succédané : le désert marrakshi (ou d’Agafay).
Là, en pleine cambrousse aride, à quelques minutes d’hélico du centre ville, on propose pour environ € 3650 par personne un weekend « en plein désert », en logeant sous la toujours très « authentique » kheima berbère (avec tente lounge attenante et vins fins à discrétion), animée par des soirées avec danses, non moins « berbères » elles aussi ; le tout agrémenté de journées en quad, à cheval, à dromadaire, ou en 4 x 4. Histoire de se la jouer en s’offrant un petit « Dakar » sur mesure ! Ou bien, satisfaire une certaine soif d’idéalisme romantique nomade censée sommeiller chez tout cadre supérieur stressé.
Normal, non ? Il l’aura lu dans des bouquins ou les journaux ; vu à la télé, surtout. A présent, son trip, il va le réaliser !
On l’aura compris, envisagé sous cet angle, le droit de s’éclater, de se mettre dans la peau d’un baroudeur du désert, ne serait-ce que 48 heures, demeure pour les TO une ressource quasiment inépuisable, éminemment monnayable. D’autant plus que le consommateur de ce genre de prestation peut se rassurer à l’idée qu’il contribue à l’éco-tourisme, notion à la mode, tant il est facile de s’auto-convaincre que l’on fait ainsi œuvre utile. Guère besoin, d’ailleurs, de forcer la main à notre candidat à l’évasion. Les publicistes des TO jouent sur du velours. Grâce à quoi, rassurons-nous, nos chers voyagistes ont encore devant eux de beaux jours à fignoler des produits toujours plus alléchants.
Rabat, le 25/04/2011
PS – Note « pondue » suite à une conversation à Midelt avec Carolina Mackenzie. Pour en savoir plus sur ce sujet passionnant, nous renvoyons le lecteur à l’analyse très fine de Jean-Didier Urbain, L’idiot du voyage, Histoire de touristes, Payot, 1993.
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