Varappes modestes et courses de neige faciles dans le Haut Atlas Atlas marocain
Posté par Michael Peyron le 6 décembre 2010
Varappes modestes et courses de neige
faciles dans le Haut Atlas marocain
de Michael Peyron
Vue générale depuis Tizi n-Tebgourt, Haut Seksawa, Awlim/Tinergwet (à dr) mars 1967 (photo prise dans le scrapbook de M. Peyron)
Plusieurs chapitres rédigés pour la plupart en langue anglaise et concernant l’histoire et la culture berbère, ainsi que certains aspects du tourisme de montagne dans l’ Atlas marocain, figurent déjà dans ce site web. Dans le cas présent il s’agit d’ascensions effectuées principalement dans les années 1960 et 1970. Les sommets de l’Atlas se prêtent, en effet assez bien à des courses de neige peu techniques en hiver, à des escalades faciles en période sèche. Que l’on n’y cherche point, par conséquent, des descriptifs de grimpettes pointues dans les gorges du Todgha ou les environs de Zawit Ahansal, actuels « spots » à la mode attirant tout ce que le pays compte comme visiteurs motivés par le VI+, sinon rien !
Le Toubkal et ses environs immédiats
A tout seigneur, tout honneur ; une bonne partie de ces courses se situe dans le massif du Toubkal, reprenant là de nombreuses classiques consignées naguère par Dresch et Lépiney dans leur premier guide des années 1930. La roche, mélange de rhyolite et d’andésite, offre rarement des faces en bon rocher, exception faite pour les Clochetons de l’Wanoukrim et l’Angour. Le plus souvent c’est du rocher pourri – l’une des raisons pour lesquelles le massif n’a jamais eu vraiment bonne presse auprès des grimpeurs internationaux.
R. Proton au pied du couloir NE du Ras n-Wankrim; au fond, le Toubkal, avr. 1969 (photo : M. Peyron)
Troisième sommet du Maroc avec ses 4.083 mètres, le Ras n-Wanoukrim se remarque de fort loin alors que l’on gravit le vallon du Neltner, surtout son couloir NE, profonde zébrure qui barre toute la face et conserve la neige jusque tard en saison. Fin-avril/ début-mai les conditions sont bonnes, du moment que le gel nocturne aura fait son travail pour assurer une surface dans laquelle crampons et piolets vont mordre correctement. Le couloir se redresse à mi-parcours jusqu’à 40° ; c’est un bon exercice, même assez grisant, permettant au débutant de dominer la pente, de vaincre une légère appréhension. Cependant, il s’agit d’une course totalement dépassée à l’époque actuelle ; le couloir NE du Ras se descend désormais à ski !
Toubkal vu du sommet du Ras n-Wanoukrim, avec Lahcen Tenzing, avr. 1969 (photo: M. Peyron)
L’ascension du couloir étant terminée, c’est la pause au sommet. A gauche on discerne à peine le bob blanc de René Proton, fidèle compagnon de courses innombrables, avec, debout à côté de lui, le célèbre Lahcen « Tenzing », une grande figure parmi les montagnards d’Imlil. Au fond, le sommet du Toubkal, pyramide applatie que cerne déjà la mer de nuages montée du nord. Il va falloir, du reste, se hâter car la pluie sera au rendez-vous à la descente, dès Sidi Chamharouch…
Zam, L. Villard & Labattut (« Parpaing ») au démarrage de l’arête OSO du Toubkal, au fond : le Ras n-Wanoukrim avec son couloir NE, oct. 1968 (photo : M. Peyron)
Scène de fin de saison, les sommets sont largement dénudés, exception faite pour quelques rares névés. Au départ de cette grande classique du Toubkal, l’arête OSO, côtée PD, trois ascensionnistes s’apprêtent à s’encorder. On remarquera l’habillement d’époque, parfaitement en phase avec les pages du catalogue du « Vieux Campeur » : knickers en velour, sacs à dos « Millet », mi-bas « Makalu », stoppe-touts, « godasses » de montagne « Gaston Rebuffat » à semelles en vibram, etc. Deux cordes en nylon de 40 mètres ; ni marteau, ni pitons, ceux-ci n’étant pas nécessaire pour cette course - pas de casque d’escalade, non plus. Le « tout sécuritaire », avec sa recherche du risque zéro, ne fera son apparition que plus tard…
L. Villard attaque le 1er ressaut, arête OSO, Toubkal, oct. 1968 (photo : M. Peyron)
Pas de baudrier, non plus, l’encordement se faisant autour de la taille, à la manière ancienne. Car nous sommes en 1968, année fatidique où il est devenu interdit d’interdire, et où bien d’autres certitudes ont été battues en brèche ! Pour l’heure, l’escalade, tout en restant aérienne, est facile, rassurante, de généreuses « baignoires » offrant d’excellentes prises.
L. Villard s’apprête à assurer du haut du 2ème ressaut, arête OSO, Toubkal, oct. 1968 (photo : M. Peyron)
Ce deuxième ressaut, légèrement exposé, est sans doute la seule difficulté du parcours, mais à escalader cela en second, « ça passe » comme une lettre à la poste. On retiendra que cette course est plus intéressante en avril/mai, car en sortant au Tizi n-Toubkal on peut y retrouver des porteurs ayant monté vos planches, avec à la clef une bonne descente dans l’Ikhibi Sud.
En face du Toubkal se situent les Clochetons de l’Wanoukrim, une série de petits pics entre l’Afella et le Biguinoussen. On les atteint au prix d’une saine « bavante » directement depuis les refuges Neltner en prenant directement à l’ouest par un raide couloir d’éboulis. L’approche est plus longue que l’escalade proprement dite (rien que pour ça la course ne plairait pas aux fainéants parmi les grimpeurs modernes), celle-ci ne comptant qu’une demi-douzaine de longueurs de corde sur de belles dalles se terminant par une cheminée pour accèder au Clocheton central.
H. Villard à l’attaque du Clocheton central de Wanoukrim, août 1966 (photo : M. Peyron)
A défaut de chaussons, Louis Villard a mis ses chaussures légères d’escalade pour être à même de « gratonner » correctement sur le genre de petites prises que l’on trouve sur les Clochetons. Il s’agit de ne pas s’en priver, car c’est un des rares endroits dans le massif du Toubkal où le rocher est « potable ».
R. Proton, Clocheton central Wanoukrim, août 1966 (photo : M. Peyron)
Assuré par le haut, René Proton, chaussé de « Gaston Rebuffat » classiques, s’élance à son tour dans l’escalade des Clochetons. Il porte également un magnifique knicker en drap de Bonneval et un sac à dos de marque « Millet » que l’on avait tous à l’époque, d’un modèle inusable, car fait en toile, avec un fond protégé, en cuir. De nos jours, selon nos impitoyables critères de marketing privilégiant le jetable, un tel produit ne serait plus commercialement valable !
R. Proton descend en rappel l’Aiguille du Biguinoussen, juil. 1965 (photo : M. Peyron)
Un peu plus loin sur la même arête se trouve le Buiguinousen (4.002 mètres), sommet aux formes lourdes, rehaussé d’un clocheton – l’Aiguille. Celle-ci se livre au terme d’une escalade PD ; la petite face sous le sommet permet de re-descendre par un court rappel assez élégant (voir ci-dessus). Toujours dans le vallon d’Ait Mizan qui dessert le Neltner, dominant Sidi Chamharouch et la combe qui livre accès au Tizi n-Taghrat, se dresse un sommet secondaire totalement délaissé du grand public : le Taksout n-Ouarout. Plutôt qu’une face continue, il s’agit d’un étagement de ressauts abrupts discontinus, mais renfermant quelques bons passages d’escalade.
H. Villard & R. Proton au départ de la face S du Taksout n-Ouarout ; au fond, de g. à dr. : l’Afella, le Biguinoussen, l’Agelzim, nov. 1966 (photo : M. Peyron)
Un Dimanche matin au tout début de novembre 1966 Villard, Proton et l’auteur de ces lignes se sont donnés rendez-vous à Imlil. Partis dès l’aube, nous étions à l’attaque 1 heure 30 plus tard. C’est le grand beau ; l’air est vif, les sommets environnants sont plâtrés de neige fraîche. Nous commencons à grimper…
H. Villard en tête vers le milieu de la face S du Taksout n-Ouarout, nov. 1966 (photo : M. Peyron)
La course étant peu engagée, nous avons pris deux sacs pour trois grimpeurs de façon à ce que l’homme de tête soit parfaitement libre de ses mouvements, comme pour négocier cette intéressante fissure ci-dessus. L’altitude de départ étant relativement basse (2.400m) on notera la présence de buissons (phénomène par ailleurs peu courant dans le Toubkal) à proximité directe de la voie. Pour une course relativement modeste, nous avons été surpris par sa longueur, n’ayant pas regagné Imil avant 16h30. Du reste, au retour, Lachen « Tenzing » nous confirmera que le Taksout est une affaire plus sérieuse qu’elle n’y paraît de prime abord.
Sauvages solitudes du Tazaghart
Mulets au refuge Lépiney, au fond névé du Couloir de Neige, juil. 1965 (photo : M. Peyron)
La combe du Lépiney, immense cirque désolé, sauvage, dominé par l’envolée des arêtes rocheuses du Tazaghart, constitue la partie la plus alpine, la plus pittoresque du massif. Cela n’est pas sans rappeler le sud de l’Oisans. De plus, jugé peu à la mode, le coin est nettement moins fréquenté que le Neltner, point de passage obligatoire pour tous les obnubilés du Toubkal. Donc, tranquilité assurée. Avec en prime, loin des foules, un coquet refuge du style maison de poupées.
Tazaghart, Couloir de Neige, avec névé proéminent, au centre ; Couloir en Diagonal à dr., juil. 1965 (photo : M. Peyron)
Mais surtout, au creux d’un ravin encaissé, se cache un véritable joyau : le Couloir de Neige. C’est pratiquement le seul endroit dans le Haut Atlas où, sur près de 500 mètres de dénivelée, l’on retrouve de la neige en toute saison. Aussi, à l’époque de l’alpinisme classique d’après-1945, c’était LA course à faire dans le secteur, un peu comme le Couloir de Gaube au Vignemale (Pyrénées). Les conditions, toutefois, y ont toujours été très changeantes, selon l’enneigement de l’année en cours.
G. Lecler, Couzy, L. Villard & R. Proton à l’attaque du ressaut, Couloir de Neige, juin 1966 (photo : M. Peyron)
Par exemple, en 1966, année à faible précipitation, le ressaut qui barre le bas du couloir était presque entièrement dégarni de neige ; seul un pauvre morceau de glace isolé nous narguait du fond du ravin à gauche. Le passage du ressaut a nécessité de l’escalade délicate sur une roche délitée, et la pose d’un piton d’assurance par Guy Lercler, que l’on voit en tête de cordée sur notre photo, le marteau à la ceinture. Alors que Villard, en serre-tête, à l’air perplexe, Proton, de dos, les mains dans les poches, semble dire : « Alors, ça vient, oui ou non?! »
Le Couloir de Neige au-dessus du ressaut, Tazaghart, juin 1966 (photo : M. Peyron)
Au-delà du ressaut l’ascension re-devient facile ; il s’agit simplement de poser un pied devant l’autre jusqu’en haut du couloir, en prenant garde aux crampons qui peuvent « botter » à ce moment-là en raison du soleil qui ramollit la neige. En plein été ceci peut provoquer sur le plateau sommital du Tazaghart le phénomène spectaculaire des nieves penitentes.
R. Proton franchit le ressaut vers le haut du Couloir en Diagonal, Tazaghart, août 1970 (photo : M. Peyron)
Le Couloir en Diagonal, autre course classique du Tazaghart, présente une partie en neige moins redressée, et moins importante que dans le Couloir de Neige, n’offrant guère d’obstacle. Vers le milieu une partie facile : on remonte une pente de cailloutis. Ici, René Proton est en tête lors du franchissement du ressaut, marqué par un pas de III, qui ferme le couloir vers le haut.
Tazaghart, Couloir en Diagonal, sortie du ressaut, août 1970 (photo : M. Peyron)
Le ressaut franchi, nous nous attardons juste le temps de récupérer un anneau de rappel abandonné sur place la semaine précédente par des grimpeurs espagnols. Un simple pierrier reste à parcourir afin d’atteindre le plateau sommital, perché sous le ciel à près de 4.000 mètres. De nos jours, ces deux couloirs du Tazaghart (et d’autres encore) se parcourent plutôt du haut vers le bas, et à ski, comme il se doit ! Avec ou sans pose de rappel, selon la forme, le « mathos », les conditions.
Sous-groupe de l’Akswal
Akswal, face N, vue de Tacheddirt ; a) Ighzer n-Oukswal ; b) Ighzer n-Temda ; c) col de l’Aghzan, juin 1971 (photo : M. Peyron)
Imposante et très alpine montagne, l’Akswal domine Tacheddirt de ses 3.910 mètres. Deux couloirs sur son versant N retiendront l’attention des ascensionnistes : l’Ighzer n-Oukswal, contenant un important névé semi-permanent dans sa partie inférieure, où, par année de bon enneigement, le CAF venait autrefois pratiquer de l’école de glace en plein été; et l’Ighzer n-Temda menant jusqu’à la brèche de l’Aghzan.
B. Pagès, école de glace, bas de l’Ighzer n-Temda, fév. 1970 (photo : M. Peyron)
En plein hiver la neige d’avalanche s’entasse au pied du couloir fournissant à Bernard Pagès l’occasion d’étrenner son casque d’escalade, ses crampons Salewa à 12-pointes, ainsi que son très classique piolet Simmond au manche en bois. Par la suite nous avons tenté l’ascension du couloir mais avons dû rebrousser chemin pour des raisons liées à l’horaire ainsi qu’à la qualité de la neige.
Loubiès traverse des débris d’avalanche, Ighzer n-Temda, juin 1971, (photo : M. Peryron)
Tard en saison de l’année suivante nous avons profité d’un enneigement record pour retourner à l’Ighzer n-Temda. Ayant tranquillement bivouaqué au pied nous disposons du temps nécessaire pour mener à bien notre entreprise. Nous sommes accompagnés cette fois du jeune Loubiès, et de Michel Morgenthaler, qui grimpe torse nu. Les conditions soint parfaites : bons compagnons, bon « mathos » (tous équipés de crampons avec pointes avants), temps ensoleillé, neige de printemps, pente assez soutenue ; la course se déroulera sans problème aucun.
M. Morgenthaler & R. Proton abordent la partie supérieure de l’Ighzer n-Temda, juin 1971 (photo : M. Peyron)
Ayant coiffé le col de l’Aghzan nous bénéficions de vues en direction de l’Azrou n-Tamadot, les Wanoukrim, le Tazaghart. Pour regagner Imlil nous prenons droit devant nous par un long couloir encaissé. En cours de route, de gros blocs se détachent sous l’effet du rayonnement solaire ; nous les évitons sans difficulté.
Adossé contre l’Akswal, le Col de l’Aghzan, haut de l’Ighzer n-Temda, juin 1971 (photo : M. Peyron)
En 1972, nous y sommes retournés à deux. Le document ci-dessous, pris au départ de la descente, montre clairement la raideur relative de la pente. Inutile de le préciser. Vous l’avez deviné : à l’heure actuelle ce couloir est fréquenté essentiellement par des skieurs à la recherche du frisson !
R. Proton, haut de l’Ighzer n-Temda, début de la descente, juin 1972 (photo : M. Peyron)
Un sommet emblématique : l’Angour
Tout visiteur au plateau de l’Oukaimedden, surtout s’il y pratique le ski, connaît bien la masse imposante de l’Angour (3.615 mètres) qui ferme l’horizon au Sud. C’est une haute barrière apparemment infranchissable, régulièrement blanchie par les neiges hivernales, agrémentée en son extrémité E de deux tours rocheuses. Tout grimpeur digne de ce nom, l’apercevant pour la permière fois doit ressentir l’irrésistible envie de la gravir, de la couronner. D’autant plus qu’elle renferme plusieurs voies d’escalade, aussi bien sur sa face N que sa face S.
Sommet de l’Angour depuis le Tizi n-Ou’Attar, au fond à dr. : l’Akswal, mai 1975 (photo : M. Peyron)
L’auteur de ces lignes a eu le privilège de rencontrer un montagnard l’ayant grimpé soixante-seize fois. Il s’agissait de Louis Villard, baptisé affectueusement « Louis Soixante-seize » (!), ceci afin de le distinguer d’un certain monarque malheureux. Dans les années 1960-70, cet industriel casablancais venait en 36 heures gravir son pic préféré, en appliquant ce qu’il appelait « la productivité en montagne ». Partant Samedi à midi, il fallait franchir la distance séparant Casa de l’Ouka, « faire » son sommet préféré, histoire de se défouler, puis se retrouver dans son bureau Lundi matin, frais et dispos, afin d’affronter une nouvelle semaine de boulot.
Au sommet de l’Angour, Akswal au fond à g., mai 1964 (photo : M. Peyron)
Nous sommes (R. Proton, L. & R. Villard, L. Baude), au sommet de l’Angour, par un radieux Dimanche de fin-mai sous le ciel bleu d’Afrique, à ranger notre « mathos », contents d’avoir gravi la voie classique de l’arête N (PD). En toile de fond le Haut Atlas, « toit du monde » des anciens, aux couloirs encore bien garnis de neige, reste agréable à contempler.
L. Villard abordant l’Angour par le N, jan. 1965 (photo : M. Peyron)
Ici, harnaché de son sac, du piolet et d’indispensables pitons, Louis Villard monte d’un pas décidé depuis le Tizi n-Itbir vers « La Vire » de l’Angour. Nous étions venus en weekend à deux depuis Casa pour aborder la montagne en conditions hivernales. Les conditions sont prometteuses : grand beau temps de janvier, air sec et froid, une neige dure qui crisse sous les bottes, et bientôt sous les crampons – dès que la pente se redresse.
Voie de « La Vire » & face NE de l’Angour, jan. 1965 (photo : M. Peyron)
« La Vire » est un cheminement étroit, suspendu au-dessus du vide, permettant de contourner la Face NE de l’Angour, jusqu’à sa facile arête E. D’un parcours aisé en été, en hiver le passage est tout autre, nécessitant une traversée délicate, en équilibre sur les crampons. Quant à la Face NE, c’est une tranquille bien qu’aérienne course en AD (l’été surtout), sans doute la plus prisée de l’Angour.
H. Villard au sommet de l’Angour, jan. 1965 (photo : M. Peyron)
Villard est satisfait ; en 70 fois ou plus qu’il y vient, c’est la première fois qu’il gravit l’Angour en plein hiver. Ce sera l’un des dernières sorties pour ses vieux crampons à 10-pointes ; peu après il va passer aux pointes en avant. La descente s’effectuera via le raide couloir situé entre les deux tours sommitales. Au retour de la course, Villard s’offre un Fernet-Branca à l’hôtel – « Chez Juju » - car il prétend souffrir d’indigestion, mais un peu aussi pour fêter l’occasion !
Angour, Voie 41bis, H. Villard à l’attaque, août 1966 (photo : M. Peyron)
Occasion tout à fait différente : la 41bis, escalade classique de la Face S de l’Angour. Ce sera un de nos meilleurs rendez-vous estivaux de la saison 1966. Toujours dans le cadre d’un weekend de 36 heures, Villard, Proton, Baude, Monier et l’auteur, se retrouvent au diner le Samedi soir « Chez Juju ». Le lendemain, après un petit déj. matinal, le groupe gagne la face S par un itinéraire détourné. Comme il se doit, Villard attaque en tête par une belle fissure.
Baude prête main forte à Monier, R. Proton admire ;Voie 41bis, août 1966 (photo : M. Peyron)
Puis c’est le tour de Monier. Comme on le voit, il semble avoir des problèmes d’adhérence au départ ; heureusement que Louis Baude est là !
Vers la fin de la 41bis, R. Proton se fait assurer part Monier, août 1966 (photo : M. Peyron)
De facette en couloir, de couloir en terrace, la 41bis prend lentement de la hauteur, la difficulté moyenne restant de l’ordre de PD. Ragaillardi, Monier à son tour peut assurer son collègue Proton. Débouchant sur le plateau sommital vers midi, nous y trouvons un athlétique chleuh muni d’un fusil, qui nous avoue être à l’affut des mouflons. En effet, des mouflons il n’y en avait guère dans les années 1960 ; grâce à des mesures de protection la situation a depuis changé.
Le Haut Atlas occidental
Il était parfois agréable, histoire de changer un peu de terrain de jeu, de prendre la direction d’autres massifs. Le Haut Atlas occidental, entre Amzmiz et Taroudant, était de ceux-là. L’accès est relativement aisé par la route de Talat n-Ya’qoub, desservant le Tizi n-Test.
Idoudan, R. Proton s’amuse sur des rochers, l’Igdet au fond, oct. 1969 (photo : M. Peyron)
Cette photo a été prise sur l’arête N de l’Idoudan (idudan, ‘les doigts’), sommet dominant la vallée de l’Ogdemt entre l’Erdouz et l’Igdet. Nous avions logé dans le pittoresque village d’Arg, ceint de noyers, principal bourg de ce haut pays. René Proton, en manque d’escalade cette saison-là, s’amuse sur quelques rognons rocheux qui dominent le col, mais ne peut s’employer à fond, étant chaussé de « Trappeurs » de marche, insuffisament rigides pour tenir sur les petites prises. Les conditions sont typiquement automnales : plafond assez bas, saupoudrement de neige sur l’Igdet au fond.
Ecole d’escalade improvisée, Idoudan, oct. 1969 (photo : M. Peyron)
Plus à l’ouest se situe une contrée semi-mythique, jadis cher à Jacques Berque, le Seksawa avec ses roitelets médiévaux et sa grande sainte, Lalla ‘Aziza. Ses montagnes abruptes, aussi, décrites par Ibn Khaldoun – chroniqueur médiéval célèbre – comme « flirtant avec les étoiles ». De bonne heure, le Jbel Ikkis (Timezgidda Tindri) avaity attiré nos regards. Après la facile face S en 1967, nous étions revenus à l’automne de 1973 faire l’ascension de sa face N, de toute évidence plus escarpée.
Face N de l’Ikkis, voie de nov. 1973 (dessin D. Dourron)
En fait la course se traduisit par une escalade que l’on peut à peine côter PDinf., même si nous nous sommes encordés par prudence. Cependant, c’est un sommet panoramique ; il s’agit d’un superbe belvédère.
M. Morgenthaler & E. Hatt se reposent au pied du Jbel Ikkis, jan. 2009 (photo : M. Peyron)
Nous n’y sommes retournés qu’une trentaine d’années plus tard lors d’une rando dans le secteur dont le déroulement a été sérieusement perturbé par l’arrivée du mauvais temps.
Sans vouloir rivaliser avec Google Earth, croquis de M. Peyron montrant le Haut Seksawa, Haut Atlas occidental
A la descente de l’Ikkis M. Forseilles regagne Ighilmellen, au fond: le Ras Moulay ‘Ali, mars 1967 (photo : M. Peyron)
Le cliché ci-dessus a été pris lors de notre première reconnaissance dans le Seksawa en mars 1967. Si nous avons pu escalader l’Ikkis, en revanche, il faudra attendre plus longtemps pour ajouter le Ras Mouylay ‘Ali à notre liste de sommets.
M. Forseilles admire une coulée d’avalanche, Jbel Tabgourt, mars 1967 (photo : M. Peyron)
Lors de notre retour vers Lalla ‘Aziza, après le passage du Tizi n-Tebgourt avec assistance muletière, nous avons repris nos sacs. Ici, nous sommes en train de longer le bas de cette coulée d’avalanche. Rude journée d’une dizaine d’heures passée sur les sentiers.
Avec notre guide chleuh, Ras Moulay ‘Ali, août 1969 (photo : M. Peyron)
Il aura fallu, pour gravir le Ras Moulay ‘Ali, attendre le coeur de l’été 1969. Avec René Proton et Maurice Forseilles nous avons abordé le Haut Selsawa depuis Lalla ‘Aziza en suivant le fond d’oued sous un soleil ardent, échappant de peu d’être emportés, suite à un orage, par une vague de fond qui a tout balayé sur son passage jusqu’en plaine. Nous avons trouvé gîte et couvert chez notre vieille connaissance Si Brahim Lamin, à Imi n-Wasif.
R. Proton & un vieux berger chleuh sympa, Ras Moulay ‘Ali, août 1969 (photo : M. Peyron)
Le lendemain, partis à la fraïche, nous gagnons l’antique bourg d’Asif Lahlou, et de là, un vallon étroit livrant accès au cirque N du Ras Moulay ‘Ali. Chemin faisant, nous recrutons un jeune montagnard qui accepte, pour une somme modique, de nous guider. Ayant gagné une large brèche sur l’arête W, de là nous rejoignons le sommet : platteforme rocheuse haut perchée sous le ciel. Nous redescendons en traversée vers le ravin d’Asif Lahlou, admirant en chemin des flammes de pierre qui nous rappellent un dessin dans Le Maroc Inconnu de Jacques Felze, un des premiers pionniers à avoir parcouru les hauteurs de ce massif.
Arête N et face O du Tagerselt, massif du Tichka, depuis le Ras Moulay ‘Ali, août 1969 (photo : M. Peyron)
Photo prise lors de notre traversée du Ras Moulay ‘Ali en août 1969 et laissant entrevoir des possibilités escalade fort alléchantes sur ce sommet formant partie intégrante de l’imposante barre rocheuse nord du plateau du Tichka.
Autres massifs
L’auteur dans le couloir sous le sommet de l’Isk n-Yahya, juin 1971 (photo: M. Morgenthaler)
Depuis le village de Tidsi, ascension d’un sommet secondaire, satellite du Bou Oughiwl : l’Isk n-Yahya (3.450m). Celui-ci présentait d’excellentes conditions d’enneigement tardif en juin 1971. Heureusement les pentes terminales, légèrement plus raides, étaient en neige molle (cf. ci-dessus).
M. Forseilles, Jbel Tistwit, mars 1970 (photo : scrapbook de M. Peyron)
Le Tistwit, un des sommets les plus remarquables du massif de Telwat, domine le paysage entre Toufliaht et Zereqten lorsqu’on vient de Marrakech. D’une topographie complexe, il n’oppose guère de résistance au randonneur alpin décidé qui l’aborde au départ de Titoula, accessible depuis Taddert (route du Tizi n-Tichka). Seul point délicat : l’assez raide couloir de Sardyl (en neige au printemps), emprunté pour descendre du plateau sommital, nécessite un brin de prudence, sa surface pouvant être molle l’après-midi.
Taoujdat, ou « Petite Cathédrale », cirque de Taghia, juil. 1970 (photo : M. Peyron)
Cliché pris tout près de la source de l’Asif n-ou Hansal, qui sort du pied de l’Aoujdad, Cirque de Taghia, à deux heures en amont de Zawit Ahansal. Nous y étions venus en un weekend depuis Casablanca, en simple reconnaissance. A l’époque le coin était pour ainsi inconnu, mais on subodorait un potentiel en ecalade quasi-insondable ; d’après Louis Villard un ensemble de falaises était connu chez les grimpeurs locaux des années 1950 sous la dénomination de »barrière infranchissable ». Un accès fort difficile – par la Cathédrale ou par l’Azourki, la piste était tout aussi mauvaise - jouait un rôle des plus dissuasifs. Par la suite des grimpeurs polonais sont venus en exploration ; enfin Bernard Domenech, surtout, en a lançé la prospection. L’Aoujdad, la Taoujdat, l’immense face de Tagoujjimt n-Tsiwant sont devenus célèbres. A l’heure actuelle le Cirque de Taghia, avec son gîte, constitue la Mecque des grimpeurs de haut niveau au Maroc.
L’Ighil ou Ahbari
Nombreux sont ceux qui connaissent l’arrière-pays de Tounfit, et son maître-sommet, le Ma’asker, montagne anodine en apparence car perçue comme simple prolongement à l’Ouest de l’Ayyachi; bien rares, par contre, ceux qui se doutent qu’en son extrémité occidentale il cache quelques belles escalades calcaires.
Face N de l’Ighil ou Ahbari (3063m) Lmerri, mars 1972 (photo : M. Peyron)
Modeste 3.000, sommet très peu à la mode, l’Ighil ou Ahbari présente sur une longueur d’un kilomètre ou plus, dominant de belles cédraies, une série de facettes fort redressées renfermant d’intéressantes escalades. La prospection du massif, l’oeuvre de résidents français au Maroc, dont Claude Aulard, Denis Dourron et Bernard Domenech, ne remonte qu’au début de la décennie 1970. Une première ascension par M. Forseilles et l’auteur, entreprise au départ du village d’Assaka à son pied, a été effectuée en mai 1970. La voie empruntée remonte le couloir par une langue de neige entre les deux donjons rocheux où un bloc coincé offre l’unique difficulté du parcours. C’est devenu la voie normale.
R. Proton, C. Aulard, à l’approche du bivouac, Ighil ou Ahbari, sep. 1971 (photo : M. Peyron)
Une équipe plus étoffée, comprenant l’auteur, R. Proton, C. Aulard et B. Soulier est revenue à la charge en septembre 1971. Après installation (avec assistance muletière recrutée à Assaka) d’un bivouac just sous la face, et une nuit reposante, le donjon de droite a été gravi par deux cordées, suivant deux voies sensiblement voisines, cotation de l’ensemble : AD. Les chutes de parpaings furent rares pendant l’ascension, la roche s’avérant solide dans l’ensemble.
Installation du bivouac ; C. Aulard dans la face ; croquis de la voie Proton-Aulard, face N, Ighil ou Ahbari, sep. 1971 (photo & croquis : scrap-book de M. Peyron)
Près de deux années plus tard, à l’automne, deux co-opérants français basés à Fès, Denis Dourron et Christian Avrain gravirent la face sous le sommet-3042 par une variante de la même voie, comportant un ensemble de III, avec deux pas de IV (cf. croquis ci-dessous).
Ighil ou Ahbari, Voie Dourron-Avrain, oct. 1973 (croquis D. Dourron)
Face N, Ighil ou Ahbari: 1) Voie Normale ; 2) voies Proton-Aulard & Dourron-Avrain; 3) voie Domenech (croquis D. Dourron)
A la fin du printemps 1973, l’auteur y retourna en compagnie de J. Vautier et D. Dourron pour une simple ascension par la VN, suivie d’une courte traversée de l’arête vers l’E, puis d’une descente par le versant N par une succession de couloirs. Ce fut l’occasion d’une légère déception sur le plan de l’observation faunistique : ayant aperçu au loin ce que nous avions pris pour des mouflons, nous fumes déçus de constater, de près, qu’il s’agissait de simples moutons !
Face N, Ighil ou Ahbari, mai 1973 (photo : M. Peyron)
On voit bien à droite, le couloir qu’emprunte la VN ; à gauche l’arête traversée, ainsi que le versant parsemé de couloirs enneigés par lequel s’effectua notre descente.
J. Vautier dans la VN, Ighil ou Ahbari, mai 1973 (photo : D.Dourron)
Ce névé persiste assez tard en saison (août certaines années) ; on devine le bloc coincé au-dessus du resserrement du couloir .
L’Ighil ou Ahbari vu du Tizi n-Tiboulkheyrin, mai 1993 (photo : M. Peyron)
Cliché pris depuis le Tizi n-Tiboulkheyrin sur le sentier direct de Tounfit à Lmerri ; enneigement de fin-mai.
Montagnes de Tirghist
Derrière le Ma’asker, en direction d’Imilchil, se situe une guirlande complexe de chaînes avoisinant les 3.000 mètres. A l’époque, depuis Tounfit on suivait la piste automobile qui, via Agoudim et l’Aqqa n-Ouyyid, rejoignait la Maison Forestière de Tirghist. Base de départ commode en un joli coin de cascades, d’herbages et de forêt. On retiendra que depuis, les temps ont changé. La piste est actuellement goudronnée, l’hébergement du montagnard lambda n’est plus possible à la MF de Tirghist, celle-ci ayant été convertie en loge de chasse (?) pour hôtes de marque.
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