Interaction entre tourisme durable et patrimoine dans l’Atlas oriental marocain
Posté par Michael Peyron le 5 avril 2010
« Interaction entre tourisme durable et patrimoine dans l’Atlas oriental marocain »
de Michael PEYRON
Tizi n-Tirecht, Jbel Ayyachi, novembre 1983 (photo: M. Peyron)
Ce papier se propose de dresser un état des lieux succinct du patrimoine naturel, culturel et historique des massifs orientaux du Maroc (Moyen Atlas, Haut Atlas Oriental, Atlas de Beni Mellal) ; d’examiner l’effet qu’exerce sur ces régions un tourisme de montagne qui, n’ayant de durable que le nom, a plusieurs effets pervers ; puis, proposer des solutions là où la situation s’avère perfectible. En effet, l’ensemble de régions concernées se distingue autant par la beauté et la variété des sites que par la richesse de ses traditions, portée par une « oralité résiduelle massive » (Ong 1996), ceci étant imputable à la fois à l’éloignement des grands centres urbains ainsi qu’à la difficulté d’accès qui caractérise la majeure partie de ce haut-pays, où, dans certaines vallées, la vie suit immuablement son cours depuis des décennies. Cela constitue un fonds de valeurs séculaires – véritable trésor ethnologique – d’une qualité inestimable au niveau du patrimoine national. C’est dire que les massifs orientaux de l’Atlas possèdent de solides atouts susceptibles d’attirer un tourisme d’aventure et de découverte.
On a cependant beau souhaiter l’arrivée en tout lieu de la modernité, il serait dommageable que ces régions soient livrées sans transition à la frénésie du marketing et de la société de consommation, souvent sous leurs aspects les moins méritoires : alcool, aggloméré, béton, goudron, « briques de ville », friperie, tabac, téléphones portables et déchets de toutes sortes. Avec, comme corollaire chez les populations, l’inévitable érosion des valeurs traditionnelles de courage, d’échange, d’entraide, de générosité, d’hospitalité, de solidarité, qui faisaient jusqu’alors la force de ces contrées.
Ainsi, sans pécher par « passéisme » excessif, serait-il souhaitable que la fréquentation touristique qui caractérise ces régions soit accompagnée par des programmes de mise en application progressive d’un tourisme diffus, discret, respectueux de l’environnement et comportant un minimum de « garde-fous », afin qu’il devienne pleinement durable, dans toute l’acceptation du terme, et non auto-destructeur, comme c’est trop souvent le cas.
Procédons donc, en un premier temps, à un état des lieux.
1/ Un patrimoine naturel
Le Moyen Atlas dans sa totalité, auquel on ajoute le Haut Atlas oriental, est sans conteste la face la plus évidente du patrimoine, constituant une pléiade de chaînons, plateaux, gazons, forêts, et cours d’eau, renfermant des ressources importantes en faune animalière, aviaire, et halieutique.
De Taza à Beni Mellal se succèdent des anticlinaux calcaires élevés qui offrent des paysages karstiques, des gorges, des torrents, des lacs, des dolines (Berriane 1993 ; Tag 1995 ; Troin 2002, Milet 2003). On y distingue trois régions de haute montagne:
1/ le massif Bou Iblane/Bou Nasser ;
2/ la chaîne Ayyachi/Maasker ;
3/ les sommets entourant Zaouit Ahansal, du Kwaïs à l’Azourki.
Toutes ces régions sont connues pour leurs paysages somptueux, leur enneigement persistent (novembre-mai), avec un potentiel important en randonnée pédestre, et où le ski se pratique en exploitant les combes orientées nord-est, alors que les environs de Zaouit Ahansal renferment des possibilités de rafting, de canyoning, et d’escalade à haut niveau (Jbel Ayoui, cirque de Taghia n-Ouhansal, gorges du Todgha ; Domenech 1989). Les deux premières régions contiennent d’importants vestiges d’un biotope unique qui constitue leur principal fleuron, cette cédraie millénaire qu’il conviendrait de sauver face aux menaces de toutes sortes qui pèsent sur elle : érosion, pacage et coupes abusives, stress hydrique (Benabid 1995 ; Milet 2003 ; Peyron 2004). Autre atout local, les gazons d’altitude, tapis fleuris au printemps – largement connus sous le vocable almu, voire agudal – lieux de pacage recherchés par la transhumance saisonnière traditionnelle (Bourbouze 1997).
Non moins importantes sont les régions de moyenne montagne : le causse moyen-atlasique avec lacs, torrents, plateaux et collines garnies de cèdres et de chênes-verts, notamment autour d’Ifrane, Azrou, Mrirt et Khenifra (Jennan 2005), constitue un morceau de choix du patrimoine naturel ; ainsi que les zones en bordure de la Haute Moulouya, les reliefs boisés, modelés par le karst, qui dominent le Tadla entre Ayt Ishaq et Tagzirt ; enfin, le plateau des Ayt Abdi du Kousser, haut pavé calcaire aux eaux souterraines (Monbaron 1994). Régions offrant une palette d’activités sportives incomparable : promenades à pied et/ou en raquette, ski de fond, ski de piste, randonnée muletière, randonnée équestre, pêche, ornithologie, spéléologie, et, portées par un effet de mode irrésistible, circuits en 4×4 (Gandini 2000).
Si Ifrane jouit depuis longtemps d’une certaine notoriété dans le domaine touristique, se targuant d’être la « capitale écologique » (Tarrier & Delacre 2006) du pays, elle est fréquentée essentiellement par une clientèle relativement aisée d’excursionnistes du Dimanche pratiquant le pique-nique, la promenade de courte durée, et l’investissement immobilier (Berriane 1993). L’inventaire des chemins de moyenne randonnée reste à faire, bien que l’on note quelques initiatives en ce sens, dont l’émergence de « classiques » comme la traversée Ifrane-Azrou, principalement liée à l’édification récente de gîtes touristiques (« Auberge de Charme », Ras el-Ma ; « Auberge berbère », etc.) pour un tourisme dit « vert », en vogue chez les vacanciers originaires des pays industrialisés.
Dans des zones ex-centrées, telles que le Bou Iblane (Guiri 2005), l’Ayyachi, Imilchil, Haut Ziz, et Zaouit Ahansal, qui se prêtent admirablement à la grande randonnée (ou « trekking ») de qualité, avec un éventail de franchissements de cols, de traversée de gorges (Aqqa Tadrout, Asif Melloul, etc.), de circuits « en boucle », ou « en étoile », quelques structures d’accueil se mettent en place, notamment à Imilchil, Anargui, Zaouit Ahansal, Ayt Bou Guemmaz et dans le Haut Todgha.
Sidi Ali Oulhasseyn, Anargui et le massif du Kousser, mars 2004 (photo: M. Peyron)
Paysages intacts et sauvages, lumière éblouissante propice à la photo, populations accueillantes, animaux de bât et hébergement rustique, voilà ce qui fait le charme actuellement de ces cantons reculés (Bordessoule & Peyron, 2002, Galley 2004, Barbaud 2005).
Malheureusement, la nature animale est faiblement préservée ; il y manque les quadrupèdes, exception faite pour les lièvres, renards et sangliers. Sans oublier les éléments nobles de la faune : les dernières panthères de l’Atlas (entre Boutferda et Tigleft), mais dont la présence supposée dans l’inconscient collectif des visiteurs est susceptible de jouer un rôle attractif équivalent à celui de l’ours dans les Pyrénées ; ainsi que quelques peuplements de mouflons à manchette et gazelles de montagne de la région d’Imilchil (Cuzin 1996), et du Tasemmit au-dessus de Beni Mellal.
En matière de faune aviaire, en revanche, l’amateur sera comblé : d’importants effectifs d’oiseaux occupent différents biotopes : forêts à conifères et à feuillus, étendues lacustres, rivières, hautes landes, zones cultivées, zones des sommets. Quelques « spots » sont devenus célèbres, au point d’attirer des groupes d’ornithologues du monde entier : Ifrane, ses jardins, ses chenaies, pour les passereaux ; le lac d’Afenourrir pour les limicoles sédentaires et de passage ; l’Agelmam Sidi Ali pour les tadornes, cigognes et buses ; la Haute Moulouya pour certains rapaces et petits échassiers ; le lac de Tislit pour les grèbes et canards. Inutile de préciser que ce patrimoine, s’il doit perdurer, nécessite des mesures de protection efficaces.
Les cours d’eau de ces montagnes comptent, en outre, trois types d’attraits naturels:
1/ Les cascades. Celles-ci sont relativement nombreuses. Les plus connues : cascades du Val d’Ifrane ; d’Immouzzer-Marmoucha ; de Zaouia Oued Ifrane (près de Mrirt) ; de Talat Lmsakin sur l’Oued Fellat (région de Beqrit) ; aux sources de l’Oum er Rbia, le maître fleuve marocain ; surtout les célèbres cascades d’Ouzoud de l’Atlas de Beni Mellal (Milet 2003).
Sources de l’Oum er Rbia’, avril 2008 (photo: E. Canterbury)
2/ La pêche sportive : De nombreux torrents (que les connaisseurs appellent « les oueds à truite ») sont répertoriés : Oued Berd (Bou Iblane) ; Oued Immouzzer (Immouzzer-Marmoucha) ; Oued Chbouka (Khenifra) ; Haut Oued Anzegmir (Jbel Ayyachi) ; Asif Melloul (Imilchil) ; Asif n-Imedghas (Haut Dadès) ; Asif n-Ouhansal, etc. Certains de ces cours d’eau sont régulièrement alevinés et amodiés, et attirent de nombreux adeptes en possession du permis de pêche.
3/ On peut signaler, également, des cas de sources ayant des vertus diverses, dont la fertilité (Aïn Llaz, Aïn Erroh, Bou Iblane ; Ighboula n-Oussacha, région de Tounfit, etc.), et attirant à ce titre les femmes du pays.
2/ Un patrimoine culturel
Sont classés dans cette catégorie les aspects spécifiques de la culture amazighe, tels qu’il est possible de les observer au quotidien dans ces régions, où ils sont mieux conservés que dans les régions gagnées par l’urbanisation.
tishdift des ayt myill (Beni Mguild), Timhadit (photo: M. Peyron)
L’artisanat en premier, caractérisé par le tissage de la laine sur métier à cadre en bois (azetta) : jellabas, couvertures, nattes, selles de mulet, tapis. Les tapis (tishdifin) du Moyen Atlas sont célèbres, les Beni Mguild, les Beni Ouaraine, et les Marmoucha, étant les plus connus.
Tissage de tapis à Tafadjight, Beni Aliham, mai 2003 (photo: M. Peyron)
Le travail du bois, dans les régions où pousse le cèdre, y est également réputé (Azrou) ; d’ailleurs, la fabrique artisanale de magnifiques coffres en bois perdure dans quelques villages du Haut Asif Ouirine (à l’ouest de Tounfit), où l’on trouve également de petites stèles en bois crénelées dans les cimetières. Plus loin au sud-ouest, dans la région d’Anargui, on produit des cuillères en buis, un bois très dur ; le noyer, qui pousse dans quelques vallées protégées est, lui aussi, utilisé pour l’artisanat.
Maisons jointives, qsar de Tirghist, mai 1993 (photo: M. Peyron)
Le cadre traditionnel amazighe bâti vient en second. L’habitation de base, la taddart, maison en poutres de cèdre et en pisé, construite de plein pied avec vestibule à mulets, réserve de fourrage, chambres d’habitation et terrasse, parfois avec une ou plusieurs tours d’angle, est avant tout fonctionnelle. Elle n’en reste pas moins caractéristique de ces régions de l’Atlas et, à ce titre, mérite d’être sauvegardée. Véritable petite fortin aux quatre tours d’angle, l’ighrem, quant à lui, n’appartient pas véritablement au Moyen Atlas, bien qu’il y fasse de timides apparitions (à Ifkern, et chez les Beni Bou Illoul, par exemple). Pour trouver ce style de construction il convient d’aborder le Haut Atlas Oriental, où, dès les Ayt Yahya il est présent (Tounfit, Agoudim, Ayt Yaddou), pour se généraliser chez les Ayt Hadiddou et les Ayt Merghad lorsque l’on descend vers le sud, d’où viennent les artisans spécialisés dans ce genre de construction (environs de Tilouine dans le Ferkla).
Teintes automnales, Sountat, Ayt Hadiddou, octobre 1997 (photo: M. Peyron)
Puis, à Zaouit Ahansal et dans les Ayt Bou Guemmaz (Huet & Lamazou 1990) on trouve de splendides bâtisses à tours d’angle, dont le curieux ighrem circulaire de Sidi Moussa, qu’un travail de restauration est en train de sauver de l’écroulement qui menaçait. Démarche louable car l’ighrem, avec sa valeur esthétique avérée, présente un intérêt indéniable aux yeux du visiteur étranger, ce qui en fait la pièce maîtresse du patrimoine architectural.
On ne peut, certes, prétendre que ces régions renferment de grandes spécialités culinaires. Toutefois, à l’instar d’autres montagnes (le Dauphiné, la Savoie, par exemple) l’Atlas peut se prévaloir d’une gamme fruste comportant en premier lieu, le célèbre méchoui, cuit soit sur broche, soit dans un four en terre ; les brochettes de base (tutliwin) ; les brochettes épicées à la graisse de mouton (tadunt n-ulli, ou bulfaf) ; la soupe de fèves (tahrirt n-ibawn), ou une autre soupe désignée plus à l’ouest askif. De délicieux feuilletés, melwiy, ou bu shiyyar, pouvant être consommés avec du beurre (uddi) ou du miel (tamment). Différents tajines, enfin, à la viande ou au poulet, toujours assortis de légumes, et habituellement très épicés.
La vie traditionnelle pastorale dans un milieu hostile a donné lieu à une codification des valeurs liées à la notion de solidarité communautaire, où tiwizi (‘corvée collective dans l’intérêt général’), et amεiwan (‘entre-aide’) figurent en bonne place. La garde du troupeau de vaches ou du parc à mulets du village, peut être confiée à un ou deux hommes (à des femmes, pour les vaches), selon le système de tiwili (‘tour de rôle’) – pratique qui s’observe notamment en pays Ayt Yahia et Ayt Hadiddou. Par contre, une autre institution du pastoralisme, tarahalt (‘transhumance’), avec respect des jours d’ouverture des pâturages mis en défens, ou igudlan, semble se maintenir bon an mal an dans l’Atlas d’Imilchil (Peyron 1992) alors que, dans le Moyen-Atlas central, la situation est plus nuancée. Si chez les Ayt Arfa une transhumance à courte distance est observée (Jennan 2004), on assiste chez d’autres Beni Mguild à une tendance à la sédentarisation massive en altitude (Bencherifa & Johnson 1993), principalement entre Timhadit et le Jbel Hayyane.
Jeunes femmes des Ayt Bou ‘Arbi, Ayt Yahya, août 1976 (photo: M. Peyron)
La légendaire hospitalité berbère, quant à elle, est une véritable institution qui mérite de perdurer. Dans certains villages survit la coutume dite afalis, ou tour de rôle, pour assurer l’hébergement du voyageur de passage ; au besoin à l’intérieur de la mosquée, si les hommes sont absents. N’oublions pas, aussi, que l’ensemble de la vie était autrefois régi par le droit coutumier amazighe (izerf), équitable et expéditif, dont les anciens regrettent amèrement la quasi-disparition (Khettouch 2005).
Des pratiques, curatives et autres viennent enfin clore ces notions traditionnels ayant encore cours dans certains douars reculés : la pharmacopée de plantes médicinales, telles que azukenni (‘thym’) ; enfin des croyances qui, selon certains observateurs, relèveraient de la sorcellerie, telles que la prédire l’avenir en scrutant les étoiles, ou prévoir la météo en observant l’épaule d’un mouton (Ayt Sokhman).
Cet ensemble de traditions qui s’appuie, bien entendu, sur une oralité résiduelle fort riche constitue le fleuron du patrimoine culturel. Avec ses anecdotes, contes, devinettes, proverbes, et poésie diverses, l’ensemble constitue une véritable encyclopédie orale amazighe, dont les izlan (‘distiques’) qui se chantent collectivement dans le cadre de la danse ahidus ; timawayin (‘strophes’) et timdyazin (‘ballades’) sont les genres les plus répandus.
ahidus chez les Ayt Hadiddou n-Imedghas, Msemrir, juillet 1981 (photo: M. Peyron)
On les entend à l’occasion des fêtes villageoises, souvent à l’automne : notamment lors de circoncisions (teεdliwin), ou de fastueux mariages collectifs (timghriwin) que l’on pratique encore chez les Ayt Hadiddou et Ayt Sokhman (Peyron 1993 ; Khettouch 2005; Hamri 2005).
3/ Un patrimoine historique
Il convient de souligner l’existence, dans les régions qui nous préoccupent, de très nombreux sites de mémoire, principalement liés à la résistance anti-coloniale du début du 20ème siècle. Parfois, rien ne reste sur place pour évoquer ces combats. En d’autres lieux subsistent bâtiments, ruines, stèles commémoratives, et cimetières, qui sont autant de témoins tangibles d’un passé relativement proche, et occupant dans l’inconscient collectif local une place dont l’importance ne saurait être sous-estimée. Ces sites font actuellement l’objet, à l’échelon local, d’un certain suivi, quand il ne s’agit pas d’un véritable culte lié au soufisme, encore présent dans l’Atlas par le biais des marabouts (igurramn). N’oublions pas, à cet effet, que ces régions ont été marquées pendant le haut moyen-âge marocain par une forte implantation de zaouïas d’obédiences diverses (Jennan 1993 ; Mouhtadi 1999), à la fois relais « makhzéniens », gîtes pour pèlerins et pôles de spiritualité influents, dont certaines fonctionnent encore.
Voici une liste non-exhaustive de quelques sites qui représentent ce patrimoine historique :-
- Le ‘cèdre du pardon’ (idil leεfu), à l’ouest de Tanchraramt dans le Bou Iblane, qui a marqué le retour des Beni Ouaraïne au bercail makhzénien (été 1926) ; accès en véhicule tout-terrain par chemin secondaire 4822.
- Un kerkur (‘cairn’) entre Talzemt et Tamjilt, (Bou Iblane) à proximité de Souf Ifendasen, marquant le point extrême atteint par la mehalla de Moulay Ismaïl à la fin du 17ème siècle lors d’une de ses campagnes contre les tribus du coin ; accès muletier.
- Vallée d’Oulad Ali, (Moyen Atlas oriental) dont les environs virent se dérouler des combats acharnés pendant l’été 1926 (Celarié 1928); combats qui tournèrent à l’avantage des résistants (un des rares cas de capture d’un fortin français dans les campagnes de l’Atlas), mais dont le succès fut annulé par la reddition de Sidi Raho à Taffert ; accès en véhicule tout-terrain depuis Outat el-Haj, côté Moulouya.
Jbel Tichoukt, mars 1971 (photo: M. Peyron)
- Massif du Tichoukt (2796m) entre Boulmane et l’Oued Seghina, qui fut (1923-1926) le dernier réduit de la résistance des Ayt Seghrouchen de Saïd ou Mohand dans ce secteur du Moyen Atlas (Peyré 1950 ; Carrère 1973 ; Saulay 1985) ; site accessible par la RP 20.
- La zaouïa de Ben Smim, autrefois située dans l’orbite de Dila (Jenann 1993), située entre Ifrane et Azrou ; accessible par route goudronnée.
- Environs de Timhadit (Moyen Atlas central), avec sa stèle commémorative, où eurent lieu de durs combats de 1916-1919 (Jbel Hayyane, Koubbat, etc.) liés au ravitaillement du poste français de Beqrit (Guillaume 1946) ; accès par la RP 21, puis route 3388.
- Zaouit Ifrane, environs de Mrirt, avec son village maraboutique, son plateau cerné de falaises (Tissigdelt), où l’on a repéré des vestiges de fortifications : Qal’at al-Mahdi, ancienne principauté indépendante des Zénata du Jbel, 11ème siècle (Peyron 2003) ; accès par RP 24 jusqu’à Souk el-Had, puis route 3410.
- Champ de bataille d’El Herri (lehri), à une dizaine de kilomètres de Khenifra (Moyen Atlas central); deux stèles commémorent la défaite par Moha ou Hammou Zaïani en automne 1914 de la colonne Laverdure (Le Glay 1930 ; Guillaume 1946 ; Drouin 1975 ; Roux & Peyron 2002 ; Ben Lahcen 2003) ; située sur la RP 24.
Tazrouft et le Jbel Mawtfoud, mars 1974 (photo: M. Peyron)
- Zaouia Sidi Hamza, important centre maraboutique, associé au célèbre Bou Salim el-Ayachi, versant sud du Jbel Ayyachi ; accessible depuis RP 21 par la route 3438.
- Poste ruiné et village des Ayt Yâqoub, versant sud du Jbel Ayyachi, où le détachement Emmanuel fut décimée par les Ayt Hadiddou et Ayt Morghad, menés au combat par l’agurram Ou-Sidi ; puis siège du poste, lequel fut serré de près, presque capturé, mais sauvé in extremis par une colonne de secours, fin-mai/début-juin 1929 (Saulay 1985 ; Peyron 1994) ; accès en véhicule tout-terrain, chemin secondaire 3438.
- Zaouia Sidi Yahya ou Youssef, ancien pôle maraboutique et centre de résistance anti-coloniale, capturé en juin 1931 (Guillaume 1946) ; accessible depuis Tounfit par route 3423.
Colline stratégique de Tawjjaâout, région de Tazizaout (photo: M. Peyron)
- Jbel Tazizaout (2677m), arrière-pays d’Aghbala n-Ayt Sokhman, haut-lieu de la résistance marocaine (23 août – 13 septembre, 1932), et objet de pèlerinage annuel; existence de nombreuses timawayin et timdyazin relatant les péripéties de ces combats (Guillaume 1946 ; Drouin 1975 ; Saulay 1985 ; Roux & Peyron 2002). Accès malaisé, à dos de mulet, ou à pied.
Hameau d’Itto Fezzou et Tizi Hamdoun, janvier 2006, (photo: M. Peyron)
- Tizi n-Hamdoun/Jbel Baddou (juillet/août 1933) bastion montagneux où le gros des Ayt Hadiddou et Ayt Morghad sous Ali Ou-Termoun et Zayd Ou-Skounti menèrent leur dernier combat (Guillaume 1946 ; Saulay 1985) ; accessible en véhicule tout-terrain par chemin secondaire 3449 depuis Tinejdad, ou par la route d’Ayt Hani-Assoul, puis à pied.
- Les igherman de Tadafelt (Todgha), à quelques kilomètres de Tinghir, où, au printemps 1936, fut tué le dernier résistant du Haut Atlas, Zayd ou-Hmad (Clément 1981) ; accessible par RP 32, puis route 6906.
- La stèle des cluses de Tassent commémorant les batailles autour d’Imilchil, dont le combat du 1er mai 1933, au Msedrid, où un détachement de la Légion fut mis à mal par les hommes d’Ou-Sidi (Guillaume 1946 ; Peyron 1988-89) ; accès par la route 1903, puis route 3425.
- Environs de Ksiba n-Moha ou Saïd (Atlas de Beni Mellal), site de la bataille de maraman, connue des bardes amazighes (Guillaume 1946 ; Hamri 2005), où fut sérieusement malmenée la colonne Mangin en 1913 ; accès depuis Kasba Tadla par la route 1901.
tighremt à Zaouit Ahansal, mars 1976 (photo: M. Peyron)
- Zaouit Ahansal, célèbre pôle de spiritualité et de résistance à l’époque de la siba jusqu’en 1933 ; accessible depuis Azilal par route 1807, en cours de goudronnage.
- Village d’Ayt Hkim aux Ayt Bou Guemmaz, où, pendant l’été 1921, les guerriers de la région, aux ordres de l’agurram Sidi Mah el-Hansali, stoppèrent net l’élan de la cavalerie du Glaoui (Saulay 1985); accès par route 1809.
- Jbel Kousser (Lqroun, 3 069m), environs de Tillouguit, dernier bastion de la résistance dans le Haut Atlas, septembre 1933 (Guillaume 1946 ; Saulay 1985 ; Euloge 2005); accès par route 1803, puis à pied.
4/ Problématique actuelle
Il s’agit à présent d’examiner, d’appréhender la durabilité des diverses facettes du patrimoine local face à l’érosion causée par un tourisme de montagne en plein essor. Aussi, le tableau flatteur que nous venons de brosser du patrimoine de ces régions ne doit-il pas faire oublier les dangers réels qui pèsent déjà sur lui. Précisons d’emblée que les composantes de ce patrimoine naturel sont fragilisées par un déficit pluviométrique vieux de plusieurs années – l’enneigement, par exemple, étant devenu capricieux au point de dévaloriser le ski dans le Moyen Atlas, de modifier l’étiage de nombreux cours d’eau. L’action de l’homme, ensuite, dictée par des impératifs agricoles et pastoraux, ou par simple cupidité, ne s’est pas démentie ces trente dernières années, au point de menacer la survie de la forêt de cèdres, principalement dans la région du Bou Iblane, ainsi que dans l’arrière-pays de Tounfit/Aghbala. Ceci provient du fait que, dans ces secteurs à l’abri des regards indiscrets, exposés au braconnage et à l’octroi de coupes abusives, on assiste à une démission quasi-totale des Eaux et Forêts. Or, il convient impérativement de mettre un frein à ces pratiques délétères, sinon ces régions déboisées, exposées de surcroît à une érosion féroce, perdront leur atout principal.
Cédraie clairsemée menacée entre Michliffen & Jbel Hebri, Moyen Atlas, mars 2008 (photo: M. Peyron)
L’exploitation rationnelle de la forêt est pourtant préconisée au Maroc depuis des lustres par d’excellents textes. Toujours est-il que la situation de la cédraie dans les environs d’Ifrane, d’exemplaire au début des années 1990, serait devenue franchement mauvaise à l’heure actuelle selon certains observateurs (Milet 2003 ; Peyron 2005) : « Curieusement, la cédraie n’a jamais été tant détruite que depuis l’initiative du parc naturel d’Ifrane. Il aura donc suffit de parler de développement durable pour que tout disparaisse ! » (Tarrier & Delacre 2006). À cet égard, la mort près d’Azrou en 2002 du « cèdre Gouraud », est symptomatique.
En raison de l’affluence touristique qu’ils provoquent, c’est malheureusement le cas de bien des sites, victimes de leur succès, qui subissent des atteintes environnementales avec apparition notamment d’un niveau dit ‘poubellien’. Succès dont ils risquent de ne pas se remettre : Asif Tizguit (Val d’Ifrane), Agelmam Sidi Ali, sources de l’Oum er Rbia, Agelmam Azigza, cascades d’Ouzoud, lac de Tislit, gorges du Todgha (Milet 2003), etc.
Ce qui est valable pour la forêt de cèdres l’est également pour la faune animalière et aviaire. Le petit gibier ailé (perdrix) est exposé à une chasse dévastatrice. Aujourd’hui, pour lever quelques sujets isolés, il faut fouiller le fin-fond de l’Atlas. De plus, l’utilisation inconsidérée du poison et des pesticides a provoqué l’effondrement des peuplements de chacals (élimination voulue par des éleveurs soucieux de sauvegarder leurs troupeaux) et de rapaces, ce qui est bien plus grave, ces oiseaux (aigles, buses, milans et vautours) étant fort utiles sur le plan écologique. Certaines espèces, tels le très emblématique gypaète barbu, ont pratiquement disparus ; au point que l’apparition récente (2006) d’un isolé juvénile dans l’Ayyachi est saluée comme un évènement.
Comment, dans ces conditions, pouvoir aspirer à élever certaines zones en réserves, voire en parcs nationaux ? Surtout lorsque l’on sait qu’un site Ramsar protégé, mondialement célèbre chez les ornithologues, comme le lac d’Afennourir, près d’Azrou, peut faire impunément l’objet de braconnage (Peyron 2004).
Situation provenant d’un seul fait : le Maroc est, certes, un état de droit, mais ce dernier ne peut valablement s’appliquer, selon les lieux, qu’en fonction d’un certain nombre de facteurs institutionnels – volonté des autorités locales de faire respecter le règlement, rondes des agents forestiers, etc.
Pendant les années 1990, il est vrai, on nous a parlés de projets de parcs nationaux : dans le Haut Atlas Oriental – à créer autour des mouflons de Tirghist – ainsi que dans les environs d’Ifrane (Billand 1996), sans que ces projets ne soient passés à la phase de concrétisation. Dans le deuxième cas, malgré l’ouverture de deux ou trois gîtes ruraux adaptés au tourisme « vert », on a pu noter certains cas d’inadéquation entre hébergement offert et activités annexes proposées, comme pour la refonte totale de l’Hôtel Michliffen à Ifrane : pour quelle clientèle et pour quoi faire ? Du ski, sans doute ?
Le patrimoine culturel est, lui aussi, en péril. Les igherman qui représentaient le côté noble de l’architecture amazighe sont actuellement négligés.
Vieil ighrem d’Imilchil en ruines, juin 1999 (phto: M. Peyron)
Soit, on les laisse tomber en ruines – spectacle navrant (Imilchil) – soit, on construit à côté en ciment et/ou en briques de ville. Des villages de l’Atlas marqués par cette mutation architecturale perdent ainsi l’essentiel de ce qui faisait leur charme aux yeux des visiteurs étrangers.
Touristes italiennes en fausses sahariennes au moussem d’Imilchil, septembre 1998 (photo: M. Peyron)
On assiste par ailleurs au galvaudage du folklore, surtout lorsqu’il s’agit de danses organisées de façon répétée dans le seul but de distraire des touristes de passage « curieux et non avertis » (Chegraoui 2000), ceci étant particulièrement le cas à Imilchil.
Touristes italiens déguisés en faux sahariens, Imilchil, 1998 (photo: M. Peyron)
L’ahidus, danse emblématique des Imazighen, est dépréciée lorsque des jeunes se produisent en jean et blouson de cuir, la cigarette « au bec » (observé à Taghighacht, Ayt Hadiddou, en octobre 1997).
Jeunes en jeans et chemisettes dansant l’ahidus à Taghighacht, oct 1997.
Peu étonnant qu’un barde (amdyaz) dénonce :-
« Ces jeunes qui boivent, fument, se laissent pousser de longues mèches,
Et qui d’alcool se remplissent la panse en plein milieu de la danse ! » (Peyron 1993)
Dans le Moyen Atlas, chez des populations habitant autrefois sous la tente – situation qui se prêtait parfaitement à l’accueil des hôtes de passage – l’hospitalité tend à disparaître, dès lors que la modernité veut que l’on se calfeutre dans des maisons en brique, clôturées de surcroît. Avec le bâti, la méfiance est apparue. Pratique censurée, là aussi, par l’amdyaz :-
« Celui qui vit au loin nous ne l’aimons point,
Contre nos voisins nous nous barricadons ! » (Peyron 1993)
Actuellement, si la fréquentation touristique sous sa forme « trekking » présente un côté positif pour les familles impliquées, elle comporte de nombreux inconvénients. Une hospitalité galvaudée se trouve réglementée, mise sous tutelle. Dès lors qu’une région de l’Atlas est régulièrement fréquentée par des touristes, en matière d’hébergement, l’obligation est faite aux randonneurs de s’adresser à un gîteur attitré, pour peu qu’il en existe un dans le village. Ceci n’est évidemment pas applicable aux trekkeurs ayant fait le choix de coucher à la belle étoile.
Alors qu’il est perçu comme positif du seul fait qu’il injecte de l’argent dans l’économie locale, voyons quels sont les effets pervers du tourisme de montagne. Parmi les plus importants on peut dénombrer les suivants :-
- la manne touristique ne bénéficie qu’à une minorité de locaux : fils de notables, accompagnateurs, muletiers, gîteurs – d’où émergence d’une nouvelle élite, renforçant ainsi les clivages sociaux ;
- lorsque dans une famille les fils sont impliqués dans l’activité touristique, cela affaiblit l’autorité du paterfamilias (Lecestre-Rollier 1997) ;
- à force de former des accompagnateurs au CFAMM de Tabant, Ayt Bou Guemmaz, on a dépassé la demande, certains éléments ayant dû renoncer à ce métier faute de clientèle, ou préférant émigrer à l’étranger après avoir épousé une de leurs clientes ;
- baisse de qualité chez certains de ces accompagnateurs, lesquels, issus du milieu citadin (« les guides plastiques », selon un ancien), connaissant moins bien la montagne que les fils de montagnards tamazightophones du recrutement initial ;
- des monopoles de muletiers (comme à Ayt Bou Guemmaz), agissant pour le compte des Tour Operators, continuent à rayonner sur l’ensemble des massifs, créant, là où ils passent, des sentiments de manque à gagner ;
- des incidence fâcheuses sont provoquées sur l’activité agro-pastorale par l’emploi massif de mulets à des fins touristiques en période estivale : manque de fourrage, retards dans la moisson, sans parler des cultures délaissées au profit du seul accompagnement des trekkeurs ;
Gamins opportuns, Ayt Bougemmaz, septembre 1966 (photo: M. Peyron)
- le syndrome du visité : gamins opportuns et quémandeurs (« Stylo, bon-bon, Monsieur ! »), encouragés par le comportement stupide de certains touristes (années 1990) ;
- le passage des caravanes touristiques provoque des nuisances : piétinement de cultures, utilisation de bois pour feu de campement, déchets laissés sur lieux de bivouac, etc. ;
- le passage des caravanes attise des convoitises ; on signale des cas de larcins, voire d’agressions (Galley 2004);
- la commercialisation dénaturée de certains gîtes – évolution fâcheuse de l’hospitalité traditionnelle amazighe – reflète un souhait de la part des visiteurs de retrouver à l’étape leur petit univers de bonne humeur et de confort, se distanciant ainsi du milieu ambiant qu’ils n’appréhendent qu’à travers le prisme déformant et réducteur du folklore.
Michael PEYRON
Texte d’une communication lue à Rachidia, le 21 mars, 2008, lors d’un colloque sur le Tourisme
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